Au-delà de la médiation diplomatique du Qatar et de l’Egypte, des discours sans effet et de l’aide humanitaire venue de tout le monde arabe, la tragédie vécue par les Palestiniens de Gaza a été marquée par l’impuissance plus ou moins volontaire des Etats arabes. Le plan conçu et proposé par la Ligue arabe marque un tournant, en ce sens où il manifeste une volonté politique commune et alternative au plan criminel de D. Trump qui rêve de vider la bande de Gaza de ses habitants au terme d’une opération de nettoyage ethnique.
La Ligue arabe, qui propose une reconstruction de Gaza sur cinq ans et l’instauration d’une administration (qui met à l’écart le Hamas), offre une perspective à une population palestinienne plongée dans le désespoir et confrontée à une logique de survie au quotidien. Ce plan a été adopté par l’Organisation de la coopération islamique (OCI), mais rejeté par Israël, dont les dirigeants soutiennent le plan de D. Trump.
Face à cet axe Washington/Tel-Aviv, en affichant un Plan viable et alternatif, la Ligue arabe a l’occasion historique de contribuer à un acte de solidarité avec les Palestiniens et de donner du sens à l’existence même de cette organisation.
En effet, l’organisation est traditionnellement paralysée par les logiques interétatiques et des conservatismes qui l’ont plongée dans une profonde léthargie.
Une organisation prisonnière des jeux de puissances arabes
Si l’aspiration unitaire a permis la naissance de la Ligue arabe, l’absence de cohésion politique et la prévalence des logiques d’intérêts nationaux sur le principe de solidarité arabe ont empêché toute dynamique de « puissance arabe globale ». L’histoire de la Ligue arabe est celle d’une crise existentielle rythmée par des divisions et conflits interétatiques. Son déficit de crédibilité et d’efficacité est directement lié à une forme d’« incapacité de puissance ».
Cet état de crise (même léthargique) entame le bon fonctionnement et l’efficacité d’une organisation, reflet de la désunion et de l’impuissance (collective et individuelle) des États arabes eux-mêmes. La Ligue fait office de façade commode derrière laquelle ils tentent de masquer leurs faiblesses et leurs turpitudes. Malgré sa vocation panarabe, l’organisation n’a jamais pu se départir de son instrumentalisation par ses États membres et par des puissances étrangères au monde arabe (de l’Iran aux Etats-Unis).
Une organisation qui enchaîne les divisions et les échecs
Dès sa naissance, la Ligue est divisée en deux lignes de fracture idéologique et stratégique : l’entente égypto-saoudienne favorable aux projets d’indépendance fait face à l’axe hachémite jordano-irakien plus enclin à une coopération avec la puissance britannique, à la tête de nombreux protectorats et mandats (Soudan, Palestine, Émirats, etc.).
Dans un second temps, les rivalités intra-arabes ont connu une reconfiguration avec la Guerre froide, la Ligue devenant durant cette période le théâtre d’un affrontement politico-idéologique entre d’un côté l’alliance nationaliste arabe (Égypte, Libye, Syrie) et le bloc soviétique, et de l’autre, l’alliance entre les monarchies arabes (Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Jordanie) et le bloc occidental. Dans ce contexte, de la fin des années 1950 aux années 1960, l’arabisme à teneur socialiste et anti-impérialiste – incarné par le pôle syro-égyptien – s’impose au sein de la Ligue à la faveur de deux événements : la victoire politique de Nasser au terme de la crise du Canal de Suez (1956) et l’affaiblissement de l’influence hachémite avec la chute du royaume d’Irak.
À peine l’Égypte réintégrée (mai 1989), la Ligue arabe est secouée par un nouveau choc : l’invasion et la tentative d’annexion du Koweït par l’Irak de Saddam Hussein, le 2 août 1990.
Cette configuration implose avec la signature, le 17 septembre 1978, des Accords de paix de Camp David, entre l’Égypte et Israël. Outre le déplacement du siège de la Ligue du Caire à Tunis, ces accords de paix marquent une rupture qui se traduit par l’exclusion de l’Égypte, puissance régionale, porte-étendard historique du panarabisme et membre fondateur de la Ligue des États arabes. La crise existentielle de l’organisation atteint ici son paroxysme.
À peine l’Égypte réintégrée (mai 1989), la Ligue arabe est secouée par un nouveau choc : l’invasion et la tentative d’annexion du Koweït par l’Irak de Saddam Hussein, le 2 août 1990. Face à cet acte d’agression prohibé par le Pacte constitutif de la Ligue, l’organisation échoue à trouver une solution de sortie de crise susceptible d’empêcher l’intervention sous mandat de l’ONU d’une coalition internationale sur le territoire d’un État arabe.
Avec les soulèvements populaires qui ont traversé le monde arabe en 2011, la Ligue arabe a fait à nouveau la démonstration de son incapacité à peser le cours des évènements.
Cette seconde guerre du Golfe (1990-1991) creuse un peu plus les divisions au sein du monde arabe. La Ligue arabe s’est montrée plus que jamais incapable de jouer un rôle de médiateur à défaut d’un rôle de fédérateur. La fracture est d’autant plus profonde que les porte-drapeaux historiques du panarabisme, la Syrie et l’Égypte (avec d’autres États arabes, essentiellement les monarchies pétrolières et le Maroc) prennent part à la coalition internationale menée par les États-Unis contre l’Irak.
Avec les soulèvements populaires qui ont traversé le monde arabe en 2011, la Ligue arabe a fait à nouveau la démonstration de son incapacité à peser le cours des évènements. Les bouleversements au Moyen-Orient et les tensions en Afrique au Maghreb lui donnent une dernière chance de démontrer son utilité. Saura-t-elle faire face à D. Trump, qui compte des alliés au sein même de l’organisation?