Sa critique cinglante et son refus catégorique de la guerre contre l’Ukraine lui ont valu d’être placé sur la liste des personnalités “terroristes et extrémistes”. Il ne s’agit pas d’un leader d’un mouvement terroriste ou d’un chef de milice ou d’un putschiste. Tenez-vous bien : il s’agit de l’écrivain à succès russe Boris Akounine.
Et il ne s’agit pas de n’importe quel écrivain : on parle d’un « auteur extrêmement populaire – il a vendu plus de 30 millions d’exemplaires de ses livres dans son pays -, il a également rédigé “Histoire de l’État russe”, une compilation en plusieurs tomes qui retrace les événements en Russie jusqu’à la révolution de 1917 », relate France 24, dans un article publié récemment.
Le régime de Poutine reproche à cet écrivain ces critiques virulentes outre sa condamnation de la guerre en Ukraine. Cet auteur célèbre n’a pas hésité de se prononcé en 2014 contre l’annexion de la péninsule ukrainienne de Crimée, avant de partir en exil en Europe, et huit ans plus tard plus exactement un certain 24 février 2022, la date de l’invasion russe de l’Ukraine, il condamne une « guerre absurde », sur son compte officiel du réseau social Facebook.
Certain ont poussé les choses encore plus loin. Un député du parti Russie unie de Vladimir Poutine l’a qualifié d'”ennemi” qui doit être “détruit”. Dire que cela se passe au pays de Pouchkine et de Dostoïevski ! Des pratiques staliniennes dignes de l’univers dystopique de 1984 de George Orwell ! A noter que Les éditions Zakharov, qui le distribuent, ont été perquisitionnées et ses ouvrages invendus ont été saisis. La maison d’édition AST a annoncé en décembre 2023 qu’elle ne publierait plus les œuvres de Boris Akounine, ni de Dmitri Bykov, un autre écrivain opposé à Poutine.
«C’est très dur de voir que pour le monde entier la Russie est devenue la Russie de Poutine. Pour nous, la vraie Russie n’est pas celle de Poutine mais de Pouchkine», affirme l’organisation qu’il a cofondée, La Vraie Russie, dont la mission est de venir en aide aux refugiés ukrainiens.
Quand un livre vaut huit ans d travaux forcés
L’histoire de cet écrivain n’est pas sans rappeler deux autres faits dans l’histoire politico-littéraire russe. La première est celle de Alexandre Issaïevitch Soljenitsyne, un des plus célèbres dissidents du régime soviétique durant les années 1970 et 1980. Ce dernier a été arrêté le 9 février 1945, pour avoir critiqué dans sa correspondance privée la politique et les compétences militaires de Staline. La sentence ne s’est pas faite attendre, l’écrivain a été condamné par le conseil spécial du NKVD, par contumace, à huit ans de détention dans les camps de travail pénitentiaire pour « activité contre-révolutionnaire ». Il sort du camp en février 1953, à peine un mois avant la mort de Staline. Une expérience qui lui a permis d’écrire un livre publié à Paris dans la clandestinité en 1973, mondialement connu, L’Archipel du Goulag.
Critiquer la révolution d’octobre est un sacrilège
Qui ne se rappelle pas du roman soviétique “Le Docteur Jivaco” (1957) de Boris Pasternak. Un roman qui s’est transformé en chef d’œuvre du cinéma mondial portant le même titre en 1965. Mais que reproche le régime soviétique à ce roman ? On lui reproche son « désintérêt pour la révolution d’octobre ». D’ailleurs, le protagoniste du roman est le meilleur exemple du médecin poète qui abandonne la société russe et ses transformation marquée par la révolution pour se concentrer sur une poésie lyrique tout en émettant plusieurs critique sévères sur la Révolution d’octobre et les pratiques staliniennes à l’instar des grandes purges et le communisme.
C’est pour toutes ces raisons que les maisons d’édition russe avaient refusé sa publication. Un refus qui a été justifié par un autre facteur, à savoir le roman rejette le courant littéraire du réalisme socialiste qui était un courant littéraire intimement lié aux militants russes et au pouvoir en place. L’écrivain a dû l’éditer en Italie en 1957 en pleine Guerre froide. Il fallait attendre novembre 1985 pour que l’édition et la publication du roman soient autorisées en Russie, décision prise par le président de l’époque, Mikhaïl Gorbatchev dans le cadre de la Perestroïka ou« politique d’ouverture ».
Quelques années avant, en 1958, Pasternak avait reçu le prix Nobel de littérature, mais par crainte il refusa ce Prix. Sans avancer des preuves, plusieurs observateurs de la scène politique disaient que le CIA s’est employée pour qu’il remporte le prestigieux prix.
Dire que parfois le passé dicte le présent…