Pour l’influent sénateur républicain américain, Lindsey Graham, l’opération Déluge d’Al-Aqsa menée par le Hamas contre l’Etat hébreu semble avoir été conçue pour « bloquer » le rapprochement entre l’Arabie saoudite et Israël. Car, selon son analyse, un accord de paix entre ces deux pays aurait été un « cauchemar » pour l’Iran et le Hamas.
Et si l’objectif réel de l’audacieuse offensive du Hamas en Israël était de remettre sous les projecteurs la cause palestinienne tout en torpillant l’ensemble du processus des Accords d’Abraham signés en 2020 sous l’égide des Etats-Unis, notamment le rapprochement programmé entre l’Arabie saoudite et Tel-Aviv?
Il y a à peine vingt jours, le prince héritier Mohammad ben Salmane, le dirigeant de facto du riche royaume pétrolier, se félicitait sur Fox News que les négociations de normalisation avec Israël avançaient « un peu plus chaque jour ». Retournement spectaculaire de la situation : en prévision des représailles israéliennes qui s’annoncent terribles, Riyad a exprimé samedi dernier son soutien aux Palestiniens. Tout en affirmant avoir prévenu de l’existence d’une « situation explosive résultant de la poursuite de l’occupation israélienne et de la privation de droits légitimes subie par le peuple palestinien ».
Une paix artificielle
C’est que de l’avis des experts en géopolitique, l’onde de choc provoquée par les milliers de roquettes lancées au petit matin du samedi dernier depuis la bande de Gaza sur Israël et jusqu’à Tel-Aviv, ayant fait plus de 900 morts et des milliers de blessés, fait craindre une déstabilisation totale de la région du Moyen-Orient et rappelle aux uns et aux autres que les controversés Accords d’Abraham n’offrent qu’une paix « artificielle » issue d’un deal douteux entre certains Etats arabes et Israël, mais certainement pas de paix acceptée volontairement par les peuples arabes.
Vers l’élargissement du conflit
D’autant plus que la probabilité de l’ouverture d’un deuxième front par le parti chiite dans le nord d’Israël n’est pas écartée; sans omettre la possibilité d’une nouvelle Intifada dans les Territoires occupés. En effet, en concomitance de l’offensive du Hamas, dimanche matin, le Hezbollah a revendiqué des tirs sur un secteur contesté à la frontière entre Israël et le Liban. Pour rappel, durant l’été 2006, une guerre totale avait opposé le groupe armé libanais soutenu par l’Iran à l’armée de l’occupation, Tsahal, faisant plus de 1 200 morts côté libanais en majorité des civils, et 160 côté israélien, des militaires pour la plupart.
« Une intervention terrestre israélienne à Gaza pourrait pousser le Hezbollah à ouvrir un front au Liban. D’autres acteurs locaux pourraient s’inviter dans le conflit en Cisjordanie occupée. Nous pourrions alors voir Israël entraîné dans une guerre sur plusieurs fronts avec différents groupes de résistance », estime un expert militaire.
Un avis également partagé par une politologue et professeure des relations internationales au Schiller International University. Laquelle considère que l’attaque du Hamas aura forcement un impact négatif sur les relations entre Israël et les pays arabes. Certains étant engagés depuis quelques années dans un processus de rapprochement dans le cadre des accords d’Abraham. Car « au-delà du contexte israélo-palestinien, on a un contexte israélo-arabe qui va être extrêmement tendu. La rue arabe étant majoritairement pro-palestinienne. Pour sa part, le Hamas est dans une logique jusqu’au-boutiste qui vise à ne permettre aucune normalisation avec Israël ».
Le malaise de Riyad
Or, dans ce contexte explosif, l’Arabie saoudite, poids lourd du Moyen-Orient, se retrouve dans une situation intenable. Les négociations parrainées par Washington devaient logiquement voir Riyad reconnaître Israël. Sachant qu’en contrepartie, le prince héritier exige des avancées sur la question palestinienne, une « priorité absolue », pour son père, le roi Salmane Ibn Abdelaziz. Ainsi, il aurait demandé la reconnaissance d’un Etat palestinien. Une demande dont le gouvernement israélien actuel, le plus à droite de l’histoire du pays, est totalement hermétique à toute solution à deux Etats.
Par conséquent- ce que les deux millions de Gazaouis vont endurer par le blocus total imposé par les forces de l’occupation (ni électricité, ni eau, ni carburant), en plus du coût très élevé en pertes humaines dans le scénario très probable d’une intervention au sol dans un théâtre urbain– empêchera les autorités saoudiennes, sous la pression de l’opinion publique locale, d’aller de l’avant dans la voie de la normalisation.
Déjà une victoire pour le Hamas qui se positionne comme unique interlocuteur, étant le représentant de la résistance. Laquelle aura réussi l’exploit d’occuper pendant quelques jours des terres dans le sud d’Israël. Ce que même des Etats arabes n’ont pas réussi à faire. Montrant au monde entier la fragilité et la vulnérabilité de la plus puissante armée du Moyen-Orient. Un tigre en papier?