Pourquoi la puissante centrale syndicale, jadis prompte à monter au créneau pour défendre ses affiliés, garde-t-elle un silence étourdissant quitte à avaler des couleuvres les unes après les autres? L’état de santé de son secrétaire général, Noureddine Taboubi y est-il pour quelque chose? Analyse.
Victime d’un malaise, alors qu’il présidait les travaux du Congrès ordinaire de la Fédération générale des caisses sociales, le secrétaire général de la centrale ouvrière, Noureddine Taboubi, a été admis lundi 21 août à l’hôpital militaire, après la détérioration de son état de santé.
Selon le SG-adjoint, Sami Tahri, M. Taboubi a subi des tests médicaux à l‘hôpital militaire. « Sur recommandation de ses médecins, il devrait y rester pour des analyses supplémentaires », précisait-il.
Mystère
Pourquoi M Taboubi a-t-il été admis « d’urgence » à l’hôpital militaire de Tunis? S’il est tout à fait normal qu’un responsable syndical de 62 ans, avec les lourdes responsabilités qui pèsent sur ses épaules, soit hospitalisé suite à un malaise. En revanche, fait intriguant, il a délégué ses responsabilités à la tête de l’UGTT au SG-adjoint Farouk Ayari, secrétaire général adjoint chargé du règlement intérieur qui assurera « temporairement » son intérim du 21 au 24 août. « Une mesure ordinaire stipulée par le règlement intérieur de la centrale syndicale lors de l’absence du secrétaire général », selon le SG-adjoint de l’UGTT chargé des études, Anouar Ben Gaddour.
Or, il n’est pas dans les mœurs de nos responsables de déléguer leurs responsabilités pour un oui ou pour un non. En d’autres termes, pourquoi Taboubi a-t-il chargé son SG-adjoint d’assurer l’intérim pour trois jours alors qu’il allait subir de simples « analyses supplémentaires »? S’agit-il, comme on le chuchote dans le Tout-Tunis d’une lourde intervention médicale durant laquelle le patient serait sous anesthésie?
De plus, pourquoi choisir le SG- adjoint Farouk Ayari, un parfait inconnu du public au dépens des apparatchiks tels que Samir Cheffi, Hfaiedh Hfaiedh ou encore Sami Tahri? Autant d’interrogations qui laissent présager qu’en cas d’une longue absence de Noureddine Taboubi, la désignation d’un nouveau secrétaire général de l’UGTT n’est pas exclue.
Déclin
Loin de nous l’idée de spéculer sur la santé d’un homme, fût-il un responsable syndical de la trempe de M. Taboubi, à qui nous souhaitons à l’occasion un prompt rétablissement. Mais, selon les observateurs politiques les plus avertis, les ennuis de santé du patron de la centrale syndicale coïncident avec le déclin évident de la principale force syndicale dans le pays, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT). Laquelle, marginalisée par le pouvoir en place à l’instar des partis politiques, n’en finit pas d’avaler des couleuvres.
Le président de la République, Kaïs Saïed, n’a-t-il pas rejeté d’un revers de main dédaigneux l’initiative de Dialogue national lancée en partenariat avec l’Ordre des avocats, la Ligue tunisienne des droits de l’homme et le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES)?
Et que penser de la dernière humiliation en date : le ministre de l’Education, Mohamed Ali Boughdiri, osa en juillet dernier geler les salaires de 17 000 enseignants et révoquer 350 directeurs d’écoles primaires. Et ce, en raison de la rétention des notes décidée par la Fédération de l’enseignement de base rattachée à l’UGTT.
Coup de théâtre : la dite Fédération plia l’échine en décidant le 23 juillet 2023, suite à la réunion de sa Commission administrative sectorielle, de lever la rétention des notes; au grand dam d’une partie de la base syndicale.
Ainsi, le bras de fer entre l’UGTT et le ministère de l’Education aura tourné au désavantage de la centrale syndicale. Étrangement, et pour beaucoup moins que cela, la centrale avait l’habitude de monter tout de suite au créneau, obligeant les gouvernements successifs à se soumettre.
Ce n’est plus le cas, la direction syndicale se calme manifestement et évite l’escalade. Pour preuve, la mollesse de la réaction des dirigeants de la Place Mohamed Ali. En effet, ceux-ci se contenteront d’un pathétique soutien du bout des lèvres aux revendications des enseignants; si ce n’est quelques vagues communiqués régionaux et des posts Facebook.
Problème de légitimité
Comment expliquer la prudence excessive de l’actuelle direction syndicale? De toute évidence, il y a un problème de légitimité. Pour briguer un nouveau mandat auquel ils n’avaient pas droit, l’article 20 du règlement intérieur qui stipule que chaque membre du bureau exécutif a droit uniquement à deux mandats successifs, fut abusivement amendé, permettant ainsi la réélection de sept membres du Bureau exécutif, ainsi que celle de l’actuel secrétaire général, Noureddine Taboubi, pour un nouveau mandat de cinq ans.
Et devinez qui était le principal opposant au « bidouillage » du fameux article 20? L’actuel ministre de l’Education, Mohamed Ali Boughdiri en personne. Ce dernier, lors du congrès exceptionnel non électif tenu en juillet 2021 à Sousse, s’opposa vigoureusement à cet amendement, alors qu’il était membre du bureau exécutif de l’UGTT, chargé du secteur privé.
Douce revanche.