Pourquoi le parti d’Ennahdha s’acharne-t-il tant contre le projet de Constitution, appelant même à boycotter le référendum du 25 Juillet? Pour la place accordée à l’Islam, alors même qu’elle est en diapason avec son ADN identitaire ? Non parce que les islamistes craignent que le pouvoir leur file définitivement entre les doigts. Explications.
« Le projet de Constitution de Kaïs Saïed est pré-moderne et rétrograde puisque son auteur s’est octroyé les prérogatives d’un sultan ».
Qui a prononcé ce sévère verdict? Le marxiste-léniniste Hamma Hammami, Riadh ben Fadhel, le SG d’Al Massar? Un dirigeant du Parti unifié des patriotes démocrates nationalistes dit Al Watad?
Vous n’y êtes pas! Puisque l’auteur de ces propos « révolutionnaires » n’est autre que… Imed Khemiri, le porte-parole officiel d’Ennahdha. Celui-ci, par analogie, qualifie sans ciller le parti islamiste de Rached Ghannouchi de « postmoderne et progressiste ». Décoiffant!
C’est lors d’une conférence de presse tenue hier jeudi à Montplaisir que le porte-parole d’Ennahdha est revenu pêle-mêle sur plusieurs sujets d’actualité: le projet de Constitution publié au JORT et qui sera soumis au scrutin référendaire le 25 juillet prochain; le gel des avoirs de dix dirigeants d’Ennahdha dont leur président Rached Ghannouchi; ainsi que la récente décision de la Cour des Comptes d’annuler la validité des listes électorales d’Ennahdha et du parti Qalb Tounes pour les circonscriptions du Centre et du Sud-Ouest relatives aux élections législatives de 2019. En passant par l’interdiction de se présenter à des élections pour une durée de cinq années; et ce, pour financement étranger et lobbying.
« Les prérogatives d’un sultan »
Ainsi, Imed Khemiri a réitéré le rejet de son parti « de l’ensemble de l’entreprise de Kaïs Saïed depuis son démarrage le 25 juillet 2021 ». Tout en accusant le président de la République d’avoir mis en œuvre « une machine de gouvernance totalitaire », en s’octroyant « les prérogatives d’un sultan ». Et ce, à travers le projet de constitution publié le 30 juin au JORT. Un projet de Constitution où, selon ses dires « plusieurs principes et notions en lien avec la séparation des pouvoirs, la civilité de l’État et le rôle de ses institutions avaient été supprimés ».
« Ce projet n’est pas populaire et il n’est pas le fruit d’un dialogue. Etant donné qu’il n’a pas émané d’un débat sociétal. De plus, il fait revenir le pays à l’avant constitution de 1959, et même à une période qui lui est bien antérieure ». En plus, « il offre des pouvoirs très étendus au président de la République et il n’y a aucun contrôle ni possibilité de le poursuivre pour ses actes. Surtout en l’absence d’institutions constitutionnelles et de séparation entre les pouvoirs », a-t-il encore asséné.
Par ailleurs, commentant les déboires judiciaires du leader historique d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, Imed Khemiri a expliqué que son mouvement et son président « n’ont rien à voir avec les deux affaires de l’association Namaa et la société Instalingo ». Et que « le pouvoir émanant du coup d’Etat, avec à sa tête le président de la République, vise ses adversaires politiques, en prime le président du mouvement, Rached Ghannouchi. Afin d’envenimer davantage la situation dans le pays, dans l’espoir sortir de l’impasse dans laquelle il se trouve. »
« Avant modernité et retour à l’arrière de l’arrière »
En outre, revenant sur la question identitaire et la place de l’Islam, l’intervenant a accusé le projet de constitution, « de se draper des cinq makassed pour instrumentaliser la religion. Alors que l’Islam repose sur la liberté et non sur le despotisme ».
« Nous rejetons ce document car il appartient à l’avant modernité et à l’avant-réforme religieuse. C’est un retour à l’arrière de l’arrière, un retour aux ères lointaines », a-t-il martelé.
Opportunisme
Dans le même contexte, le porte-parole du parti islamiste d’Ennahdha déplore la suppression de la civilité de l’Etat dans le projet présidentiel?
Quoi? Le parti de Ghannouchi affilié idéologiquement à la triste confrérie des Frères musulmans est attaché à la civilité de l’Etat? Jusqu’à troquer la djebba et la chachia traditionnelle pour un costume trois-pièces avec chapeau melon? On se frotte les yeux devant un tel virage à 360 °, synonyme d’opportunisme de bas étage!
Bref, considérant le référendum du 25 juillet « illégal, illégitime et nul et non avenu », car émanant « d’un putschiste », M. Khemiri a réaffirmé le boycott de ce rendez-vous électoral, clé de voûte de l’ensemble du projet juilletiste.
La vérité, enfin
Mais comment expliquer, diable, que le parti islamiste d’Ennahdha s’oppose avec un tel acharnement au projet de Constitution très favorable à ses thèses classiques. Le texte dont on accorde la paternité au président de la République en personne n’est-il pas allé au-delà de leurs espérances, eux qui rêvaient d’inscrire la charia dans la Constitution de 2014? Puisque, ce même texte proclame dans le fameux article 5 que la Tunisie « est partie intégrante de la Umma musulmane » et que « seul l’Etat œuvre à concrétiser les makassed de l’Islam. Et que le préambule du dit projet de Constitution insiste également sur « l’appartenance de la Tunisie et à son attachement aux dimensions humaines de l’Islam ».
La vérité est que la mouture du projet de Constitution accorde d’exorbitants pouvoirs au chef de l’État, sans garde-fous ni contre pouvoirs. Et ce, en stipulant que le « président de la République exerce le pouvoir exécutif, aidé par un gouvernement dirigé par un chef de gouvernement qu’il désigne. Ce gouvernement ne sera pas présenté au Parlement pour obtenir la confiance ».
De plus, le régime hyper présidentiel marque une rupture radicale avec le système parlementaire hybride installé en place par Ennahdha. Et ce, justement pour alimenter les conflits récurrents entre les branches exécutive et législative au profit de l’ARP de triste renommée. Avec les résultats que vous connaissez.