Un appel ouvert à l’ingérence étrangère dans les affaires internes de la Tunisie? En suggérant dans son discours devant l’Union interparlementaire à Vienne une « intervention pour redresser le pays et le remettre sur les rails du processus constitutionnel », le député de Qalb Tounes, Oussama Khlifi, a, de l’avis général, franchi le Rubicond.
Unanimement décriée en tant que grave atteinte à l’image de la Tunisie, ainsi qu’un appel à l’ingérence étrangère, douteux sur le plan éthique et susceptible de tomber sous le coup de la loi, la visite controversée des deux députés gelés, Khlifi et Ayadi, dans la capitale autrichienne ne cesse de faire des remous.
En effet, le Président de l’ARP, Rached Ghannouchi a mandaté les députés Fethi Ayadi et Oussama Khlifi, respectivement porte-parole d’Ennahdha et SG de Qalb Tounes pour le représenter. Et ce, à la réunion de l’Union interparlementaire, l’organisation mondiale des parlements nationaux. Laquelle se tient à Vienne du 6 au 9 septembre 2021.
Indélicatesse
Profitant de l’aubaine, l’indélicat Oussama Khlifi prononçait mardi 7 septembre un discours. Arguant que la Tunisie subit l’impact d’ « une grave déviation constitutionnelle et légale ».
Dans la foulée, il commettait l’irréparable. Puisqu’il appelait à la constitution d’une délégation de parlementaires représentant différents pays, afin d’effectuer une visite en Tunisie. Et ce, pour constater de visu la crise parlementaire causée par les annonces du président de la République. Appelant, comble de l’infamie, « à une intervention pour redresser le pays, et le remettre sur les rails du processus constitutionnel ».
Démissions en cascade
Des déclarations qui restent en travers de la gorge de l’ensemble des Tunisiens. D’ailleurs, l’élu gelé Foued Thameur annonçait sa démission du bloc Qalb Tounes, quelques heures après ce discours. Justifiant sa décision par « son refus catégoriquement de toute intervention étrangère dans les affaires du pays ».
« L’ingérence étrangère dans les affaires internes est une ligne rouge à ne pas franchir. Par ailleurs, l’absence de toute volonté de réviser ses orientations ou de changer ses dirigeants a amené certains de ses adhérents à démissionner ou à suspendre leur adhésion ».
Sachant que la démission de Fouad Thameur s’ajoute à celles de Sadok Jebnoun, porte-parole de Qalb Tounes; ainsi que deux députés, Chiraz Chebbi et Jaouhar Mghirbi.
Justifications peu convaincantes
Répondant à ses détracteurs le lendemain de ces déclarations choquantes à plus d’un titre, Oussama Khlifi tenait à préciser qu’il a été invité à Vienne en tant qu’élu tunisien. Statut que, selon lui, le gel du Parlement ne lui a pas ôté. Ajoutant qu’il n’a pas bravé l’interdiction de voyage, puisqu’il se trouvait déjà à l’étranger avant le 25 juillet. Tout en affirmant qu’il rentrera au pays « quand les pressions arbitraires et le harcèlement dont les députés sont victimes auront cessé ».
« Il faut être cohérent quand on évoque l’appel à l’ingérence étrangère. Le procès qu’on me fait est hypocrite. Qui peut décréter qu’on va vivre en autarcie et qu’on ne fera plus appel à l’étranger ni pour des financements, ni pour rien du tout? C’est aberrant et n’a aucun sens ». Ainsi, martelait-il, hier mercredi, sur les ondes d’Express FM.
Pour sa part, le porte-parole d’Ennahdha, Fethi Ayadi, s’expliquait, le 8 septembre sur les ondes de la radio Express FM. Il indique que son collègue Oussama Khlifi et lui avaient été mandatés par le président de ARP. Et ce, pour remplacer la délégation tunisienne qui devait participer à la réunion de l’Union interparlementaire.
« Nous avions l’occasion d’y participer puisque nous nous trouvions à l’étranger et que la délégation officielle ne pouvait pas quitter le territoire tunisien. De plus, l’ARP est membre de cette Union et a le droit d’y participer… Cette réunion a porté sur des sujets importants tels que la participation des jeunes dans les parlements. Or, la crise en Tunisie résulte en partie de l’impossibilité pour les jeunes de participer à la vie politique », se justifiait-il. Sans piper mot de l’appel de son illustre collègue à « une intervention pour redresser le pays et le remettre sur les rails du processus constitutionnel » !
Usurpation de qualité parlementaire
A cet égard, le professeur de droit public et chercheur en droit constitutionnel, Rabeh Khraifi, apportait son éclairage. Ainsi, il exposait, sur les ondes de Shems FM, le 8 septembre 2021, les raisons d’une éventuelle interpellation des députés. Lesquels ont répondu présents au congrès de l’Union interparlementaire. Ainsi que de Rached Ghannouchi qui les a mandatés.
Selon lui, l’article 315 du code pénal s’applique. Et ce, lorsque les députés usent de leur qualité parlementaire. En enfreignant donc les dispositions prévues par le décret présidentiel n°2021-80 du 29 juillet 2021. Celui-ci est relatif à la suspension des compétences de l’Assemblée des représentants du peuple. Les trois pourraient être punis de quinze jours d’emprisonnement et d’une amende.
En outre, le chercheur en droit constitutionnel affirme que le même article est également applicable à quatre députés tunisiens. En l’occurrence: Hatem Mliki (indépendant); Saïda Ounissi (Ennahdha); Marouen Felfel (Tahya Tounes); et Samira Chaouachi (Qalb Tounes). Lesquels ont rendu visite au sénateur américain; et ce, en usant de leur qualité de parlementaires.