Le World Inequality Lab (institut de recherche établi à l’Ecole d’économie de Paris) a publié un rapport, le 10 décembre dernier, qui souligne une explosion du patrimoine des ultrariches et le creusement des inégalités. Ainsi, les 0,001% les plus riches de la planète détiennent trois fois plus que la moitié la plus pauvre de l’humanité ; les 10% les plus riches du monde possèdent les trois quarts du patrimoine mondial et touchent plus de la moitié des revenus mondiaux.
Cette réalité, qui n’est pas nouvelle en soi, prend néanmoins des proportions saisissantes, voire préoccupantes, y compris pour des économistes libéraux. Cette tendance s’inscrit dans un mouvement historique dont il convient de saisir les ressorts et effets.
La mutation du capitalisme mondial
Le processus de financiarisation de l’économie, qui a débuté à la fin des années 1970, a fait évoluer le capitalisme industriel des Trente Glorieuses vers un capitalisme «actionnarial» basé sur des marchés financiers et des investisseurs institutionnels, sur une répartition des richesses en faveur du capital, une gestion des entreprises dominée par les intérêts des actionnaires et les rendements financiers à visée courtermiste.
Ensuite, la révolution technologique en cours, fondée sur les innovations numériques et sur l’intelligence artificielle (IA), est à l’origine d’entreprises affichant des capitalisations boursières historiques, qui nourrissent les fortunes colossales de milliardaires d’un genre nouveau. Les figures emblématiques comme Elon Musk (Tesla, SpaceX), Jeff Bezos (Amazon), Mark Zuckerberg (Meta) ont accédé au club select des milliardaires en un temps record.
Toutefois, rappelons que l’héritage ou la transmission patrimoniale demeure un vecteur essentiel dans l’accès au statut d’ultrariche.
Le creusement des inégalités
Les inégalités se mesurent – à l’échelle internationale – en prenant en compte deux niveaux : au sein des pays et entre pays. De ce (double) point de vue, la mondialisation a produit des effets contrastés. D’un côté, elle a permis durant les décennies 1990 et 2010 de résorber les «inégalités mondiales» (c’est-à-dire les inégalités entre pays) : l’écart de richesse entre le Sud et le Nord n’a cessé de se réduire ; même si les taux de croissance du PIB demeurent bas pour certains Etats africains, plusieurs pays d’Asie ont connu une croissance rapide et une hausse des revenus moyens de leurs habitants.
De l’autre, dans les sociétés du Nord comme du Sud, la mondialisation a creusé les inégalités ; les inégalités de revenu à l’intérieur de chaque pays ont eu tendance à augmenter, y compris dans les sociétés développées occidentales, caractérisées à la fois par la dégradation de la condition des classes moyennes inférieures et l’enrichissement des 1% les plus riches (qui ont connu une forte croissance de leurs revenus).
De plus, depuis les années 2020, le rattrapage entre les pays à revenus moyens et les pays industrialisés ralentit. Entre le Nord et le Sud, l’écart de richesses se creuse à nouveau, comme l’attestent les rapports de la Banque mondiale et du PNUD. En dehors du monde occidental, la faim se maintient à un niveau élevé : les récents rapports des agences onusiennes spécialisées montrent que près de 9% de la population mondiale (essentiellement concentrée en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud) est sous-alimentée. L’insécurité alimentaire persiste (et tend même à s’accroître en Afrique centrale et de l’Ouest), ce alors que l’éradication de la faim est l’un des objectifs de développement durable que s’est fixés l’ONU pour l’horizon 2030.
Des inégalités sources d’insécurité
La violence comprend une dimension indirecte ou structurelle, qui est la conséquence de l’existence, dans la structure sociale, de rapports de dépendance, d’oppression, d’exploitation qui empêchent les acteurs sociaux de réaliser toutes leurs potentialités. C’est à partir de la notion de «violence structurelle» (ou indirecte, latente), foncièrement liée à l’injustice sociale, que s’est développée l’idée de «paix positive» entendue à travers la justice sociale (au cœur de laquelle sont placées les politiques sociales d’éducation et de santé). Partant, les inégalités socio-économiques sont identifiées comme des menaces pour la sécurité et la paix. Pour les experts de la Peace Research, il convient donc de favoriser le comportement coopératif et de réduire les facteurs de conflictualité par la consolidation de la paix.
Dans un monde en recomposition, où les rapports de force évoluent, il faut répondre à l’urgence tout en imaginant de nouvelles règles. Par exemple, la question de l’endettement des pays les plus pauvres devrait faire l’objet d’un allègement coordonné.