La semaine s’ouvre dans un climat de tension contenue sur les marchés mondiaux, alors que les investisseurs guettent l’inflation européenne et tentent de digérer les signaux inattendus venus du Japon. Depuis Tokyo, les propos du gouverneur de la Banque du Japon, Kazuo Ueda, ont ravivé la possibilité d’une hausse de taux en ce décembre 2025.
Cette perspective, rarissime dans l’archipel après des années de taux négatifs, a déclenché une onde de choc immédiate sur les marchés obligataires : les rendements japonais ont bondi, entraînant dans leur sillage les taux souverains européens et américains. Dans un contexte déjà agité par une série de ventes massives la veille, l’aversion au risque s’est amplifiée.
Au cœur de cette turbulence, une constante demeure : le dollar américain reprend des couleurs. Soutenu par la remontée des rendements américains, le billet vert se stabilise autour de 99,50 points sur l’indice DXY, malgré des données manufacturières moroses.
Le dernier indice PMI de l’ISM confirme une neuvième contraction consécutive du secteur manufacturier, signe que la première économie mondiale ralentit. Pourtant, cette faiblesse apparente ne suffit pas à affaiblir durablement le dollar, car les anticipations de politique monétaire jouent en sens inverse. Les marchés continuent de parier, à près de 87 %, sur une baisse de 25 points de base de la Fed en décembre, mais les tensions sur les obligations entretiennent l’attrait du dollar comme valeur refuge relative.
C’est cette mécanique paradoxale — une économie en ralentissement mais une devise qui se renforce — qui devrait retenir toute l’attention des observateurs tunisiens. Car un dollar plus ferme n’est jamais une bonne nouvelle pour une économie dont plus de 80 % des échanges sont exposés directement ou indirectement à la devise américaine, et dont le dinar reste structurellement fragile.
Sur le marché des changes, le dollar réalise ses meilleurs gains face au yen, mais tient également tête à l’euro, qui évolue au-dessus de 1,16 dans l’attente des chiffres d’inflation HICP de la zone euro. Les données européennes seront déterminantes : si l’inflation recule moins que prévu, la BCE devra maintenir sa posture restrictive plus longtemps, soutenant mécaniquement l’euro; si elle surprend à la baisse, la monnaie européenne redeviendra vulnérable. Dans les deux cas, la Tunisie se retrouve en situation d’exposition maximale : un euro trop faible renchérit mécaniquement le coût des importations liées au dollar; tandis qu’un euro trop fort fragilise la compétitivité des prix des exportations tunisiennes vers l’Europe, premier partenaire économique du pays.
Dans les deux cas, la Tunisie se retrouve en situation d’exposition maximale : un euro trop faible renchérit mécaniquement le coût des importations liées au dollar; tandis qu’un euro trop fort fragilise la compétitivité des prix des exportations tunisiennes vers l’Europe, premier partenaire économique du pays.
La livre sterling se maintient mollement autour de 1,32, dans une journée pauvre en données macroéconomiques. L’Australie, de son côté, surprend par la résilience de sa devise, malgré une détérioration de sa balance courante. Le dollar australien gagne même du terrain, preuve qu’un contexte mondial de méfiance peut favoriser certaines monnaies intermédiaires. À l’inverse, les monnaies fragiles — comme le dinar tunisien — n’enregistrent aucun bénéfice dans ce contexte et restent exposées aux forces dominantes : le dollar, l’euro et les anticipations sur les taux mondiaux.
Au-delà des devises, l’or maintient sa position au-dessus de 4 200 dollars, un niveau historiquement élevé. Cette vigueur reflète la nervosité des marchés : quand les banques centrales brouillent les lignes et que les obligations deviennent instables, l’or capte une partie croissante des flux défensifs. Pour les pays émergents importateurs nets d’or, dont la Tunisie, cette flambée des prix accentue les pressions sur la balance commerciale et renforce les tensions sur les réserves en devises.
L’ensemble de ce tableau mondial laisse entrevoir des implications directes pour la Tunisie. Un dollar robuste, associé à des rendements américains en hausse, signifie qu’une partie des capitaux mondiaux se redirige vers les États-Unis. Pour un pays structurellement déficitaire comme la Tunisie, en quête de financements extérieurs et souffrant d’un accès difficile aux marchés internationaux, cette configuration renchérit le coût de la dette, durcit les conditions de refinancement et réduit les marges de manœuvre budgétaires. Le dinar, déjà sous pression interne en raison des écarts d’inflation et du déficit commercial, se trouve mécaniquement fragilisé face au dollar. Une accentuation de la tendance haussière du billet vert pourrait raviver les tensions sur le taux USD/TND, avec un risque réel de renchérissement supplémentaire des importations — énergie, matières premières, produits alimentaires — alimentant à nouveau l’inflation locale.
Tant que les incertitudes entourant les décisions de la Fed, de la BCE et désormais de la BoJ persisteront, le dinar évoluera dans un environnement défavorable, marqué par la volatilité externe et l’absence de filets de sécurité internes crédibles.
La Tunisie entre ainsi dans une zone où la combinaison d’un dollar qui se renforce, d’un euro qui hésite et d’un or qui flambe constitue un cocktail particulièrement défavorable. Tant que les incertitudes entourant les décisions de la Fed, de la BCE et désormais de la BoJ persisteront, le dinar évoluera dans un environnement défavorable, marqué par la volatilité externe et l’absence de filets de sécurité internes crédibles. La chronologie des décisions des grandes banques centrales au cours des prochaines semaines pourrait ainsi jouer un rôle clé dans la stabilité monétaire tunisienne.
In fine, le regain du dollar n’est pas seulement un phénomène technique observé sur les marchés internationaux : il est un signal d’alerte pour les économies vulnérables. Pour la Tunisie, ce mouvement rappelle cruellement la nécessité de renforcer les réserves en devises, de stabiliser les finances publiques et d’accélérer les réformes qui améliorent la compétitivité externe. Dans le monde tel qu’il se dessine aujourd’hui, la stabilité du dinar dépend moins de ses propres fondamentaux que des secousses venues de Washington, Francfort ou Tokyo. Une réalité que le pays ne peut plus se permettre d’ignorer.
Sources : https://fr.investing.com/markets/
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)