Ce n’est pas une crise qui tonne, mais une lente érosion. Une hémorragie silencieuse qui, depuis 2019, grève le quotidien des ménages tunisiens. Une analyse de Fitch Solutions, publiée en octobre 2025, dresse un constat sans appel : le Tunisien a perdu plus de 11 % de son pouvoir d’achat en six ans. Et elle relève un retour aux niveaux d’avant la présidentielle de 2019.
L’étude révèle une fracture béante dans l’économie nationale. Tandis que le PIB croît à un rythme modeste de 2 % par an en moyenne, la consommation des ménages, elle, s’envole à +3,8 %. Un écart qui sonne comme un signal d’alarme. Les Tunisiens consomment au-delà des capacités de leur économie, et probablement au-delà de leurs propres moyens, creusant l’écart avec l’épargne. Cette fuite en avant dans la consommation masque mal une réalité sociale de plus en plus précaire. L’inflation demeure problématique.
Plongée dans les comptes des familles
L’analyse des dépenses dessine les contours d’une société en proie à des arbitrages douloureux. Près de 9 % du budget part en fumée – littéralement – dans les biens non essentiels : tabac, alcool, restaurants ou internet. Dans le même temps, l’éducation, pilier de l’avenir, est reléguée au rang de variable d’ajustement, avec une part dérisoire de 1,2 %. Fitch Solutions note même, détail qui interpelle, des dépenses par habitant en chaussures anormalement élevées. Autant de signes d’un malaise dans les priorités et les compensations du quotidien.
La fracture sociale se creuse
Les chiffres de la pauvreté sont éloquents. Une véritable pyramide sociale se dessine : à son sommet, une élite minuscule de 2 % de ménages à hauts revenus. À la base, 95 % de la population survit avec moins de 10 000 dollars par an, et une personne sur cinq est prise au piège de la pauvreté, avec un revenu annuel inférieur à 5 000 dollars. Le rapport pointe du doigt la vulnérabilité accrue des aînés, des personnes handicapées, des femmes et de la jeunesse (génération Z), dessinant les contours d’une crise sociale aux multiples visages.
Les racines du mal : inflation et dinar fragilisé
Cette lente dégringolade a un moteur principal : une inflation tenace, qui a atteint 7,1 % en 2024 pour les biens de consommation. Elle est alimentée par la dépréciation persistante du dinar tunisien et des difficultés structurelles, comme les retards de paiement pour les importations de matières premières.
Conséquence : la Tunisie se retrouve reléguée au 9ème rang africain pour son indice de pouvoir d’achat local (25,7 en 2024), distancée par le Maroc et même par une Libye pourtant en crise.
Face à cette hémorragie, les mesures annoncées par les autorités – comme le plafonnement du prix de la pomme de terre ou la marge imposée sur le poisson – peinent à convaincre. Elles ressemblent à des sparadraps sur une blessure béante, tant le mal semble profond et les remèdes, insuffisants. La confiance, elle aussi, s’érode.