En Tunisie, il est devenu presque banal de pointer du doigt la Banque centrale comme responsable de tous les maux économiques. Ses taux directeurs, maintenus à 7,5 %, sont accusés d’étouffer l’investissement, de rendre le crédit inaccessible et d’aggraver la pression sur les ménages déjà fragilisés. Mais cette accusation, répétée à l’envi, relève davantage du réflexe commode que de l’analyse rigoureuse.
Car la vérité est plus dérangeante : la Banque centrale n’a pas créé la stagnation économique tunisienne, elle la reflète. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. La croissance a plafonné à 1,9 % en 2023, un rythme incapable d’absorber un chômage qui touche 16 % de la population active et plus de 35 % des jeunes diplômés.
L’inflation, en recul à 6,7 % en septembre 2024, reste largement supérieure à celle de nos partenaires européens, accentuant la pression sur le dinar et aggravant les déséquilibres commerciaux. Dans ce contexte, imaginer qu’une baisse artificielle des taux aurait relancé la machine est une illusion : elle aurait surtout alimenté la spéculation, accéléré la fuite vers les devises et fragilisé encore plus les équilibres financiers.
Le problème est ailleurs. Le tissu productif s’érode, l’investissement privé stagne, l’économie informelle prospère et siphonne près de 40 % de la richesse nationale. Le système éducatif, jadis fierté nationale, peine désormais à répondre aux besoins du marché du travail, poussant nos jeunes diplômés à l’exil. Et pendant ce temps, les inégalités régionales s’enracinent, empêchant toute dynamique inclusive de développement. Dans ces conditions, comment espérer des taux bas et un crédit abondant ? Le prix de l’argent, en Tunisie, traduit simplement une réalité : un avenir économique incertain et une croissance trop faible.
Attendre de la Banque centrale qu’elle relance à elle seule la croissance relève donc du malentendu. Son rôle est de contenir l’inflation, de protéger autant que possible le pouvoir d’achat et de maintenir un minimum de stabilité financière. Elle ne peut ni créer des emplois, ni moderniser le tissu industriel, ni réformer l’éducation. Lui faire ce procès, c’est se tromper de cible.
Le vrai chantier se situe ailleurs : rétablir la confiance des investisseurs, moderniser l’économie réelle, réduire les fractures sociales et régionales, et surtout redonner à l’éducation et à la formation leur rôle de moteur de progrès. Tant que ces réformes resteront à l’arrêt, aucun ajustement monétaire, aussi audacieux soit-il, ne suffira à redresser la trajectoire du pays.
La Tunisie n’a pas besoin d’un bouc émissaire, mais d’un projet économique. Accuser la Banque centrale, c’est détourner le regard du cœur du problème.
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG).