Dans le débat public tunisien, la Banque centrale s’est imposée comme le bouc émissaire commode de toutes les frustrations. Ses taux directeurs maintenus à 7,5 % sont accusés de brider l’investissement, d’alourdir le coût du crédit et d’aggraver la pression sur les ménages. Mais derrière ce procès facile, une vérité dérangeante s’impose : la BCT ne fait que refléter une économie affaiblie, elle ne l’a pas condamnée.
La Tunisie traverse une stagnation prolongée. Avec une croissance limitée, un chômage de 16 % qui frappe plus durement encore les jeunes diplômés, et une inflation toujours proche de 5,2 % malgré son repli récent, les marges de manœuvre sont étroites. Baisser artificiellement les taux, comme le réclament certains, n’aurait pas relancé la machine : cela aurait accéléré la fuite devant le dinar, alimenté la spéculation et amplifié les déséquilibres extérieurs.
La réalité est plus profonde. Le tissu productif s’érode, l’investissement privé recule et au mieux, il stagne, l’économie informelle prospère et siphonne les recettes fiscales, tandis que le système éducatif défaillant pousse les compétences vers l’émigration. Dans ces conditions, comment espérer des taux bas, alors même que la croissance anticipée est faible et volatile ? Le crédit, en Tunisie, reste cher non parce que la Banque centrale l’impose, mais parce que l’économie réelle le commande.
Ce constat ne dédouane pas la BCT de toute responsabilité, mais il rappelle ses limites. Une banque centrale peut lisser les chocs, contenir l’inflation, protéger le pouvoir d’achat autant que possible, mais elle ne peut pas, seule, fabriquer de la richesse. Attendre d’elle qu’elle relance la croissance par un simple ajustement de taux est une illusion.
Le vrai débat devrait se déplacer vers le terrain des réformes structurelles. Restaurer la confiance des investisseurs, réhabiliter l’éducation, réduire les inégalités régionales, moderniser l’appareil productif : voilà les leviers qui permettront demain d’obtenir, mécaniquement, des taux plus bas et une croissance plus forte. Accuser la Banque centrale, c’est se tromper de combat. La Tunisie n’a pas besoin d’un procès monétaire, mais d’un projet économique.
A suivre…
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)