Il est rare qu’un débat économique s’invite dans l’espace public tunisien. Mais quand il éclate, il tourne trop souvent à un dialogue de sourds. L’échange autour du fameux « seuil de 5 % d’inflation » censé déclencher une baisse du taux directeur de la Banque centrale en est une illustration frappante. D’un côté, un discours médiatique qui promet de la clarté en affirmant qu’en dessous de 5 % tout s’éclaircit. De l’autre, la voix de mon estimable confrère Ali Chebbi, universitaire, qui démonte point par point cette affirmation au nom de la rigueur scientifique (*).
La critique est implacable. La BCT n’a jamais annoncé de cible d’inflation. Elle ne suit pas de règle automatique. Son action reste discrétionnaire, soumise à des contraintes multiples : poids de la dette, pression sur les réserves, équilibre précaire du dinar. Imaginer qu’un simple chiffre puisse gouverner la politique monétaire relève de la fiction. Pis encore, réduire la complexité à une équation simpliste expose à un risque majeur : tromper non seulement les étudiants en économie, mais aussi les décideurs et acteurs de marché qui fondent leurs anticipations sur ce type de raccourci.
Mais au-delà de la démonstration, c’est la collision entre deux logiques qui saute aux yeux.
La première est celle de la communication médiatique, qui cherche à rassurer et à rendre compréhensible l’insaisissable, quitte à tordre la réalité.
La seconde est celle de l’universitaire, qui refuse le compromis et revendique la complexité, quitte à apparaître élitiste ou inaccessible.
La vérité, c’est que ni l’un ni l’autre ne suffisent. Le danger du premier est de fabriquer des illusions, celui du second est de s’enfermer dans une tour d’ivoire.
Ce face-à-face raté illustre le mal tunisien : l’absence d’un espace où la vulgarisation et la rigueur pourraient cohabiter. La simplification, si elle est honnête, peut être un outil pédagogique puissant. Mais elle doit s’accompagner de mises en garde, d’un effort pour dire que l’économie est faite de zones grises et d’incertitudes. À l’inverse, la rigueur ne doit pas se muer en posture professorale qui délégitime toute parole alternative.
Le débat autour du « seuil de 5 % » aurait pu être l’occasion d’éclairer le public sur les vrais ressorts de la politique monétaire. Il s’est transformé en polémique stérile, chacun campant sur son registre.
La Tunisie n’a pas besoin d’illusions chiffrées ni de discours d’autorité. Elle a besoin d’une pédagogie exigeante, capable de dire la complexité sans en faire un prétexte à l’opacité.
Tant que cette rencontre n’aura pas lieu, chaque controverse intellectuelle se réduira à une joute vaine, où l’on se parle sans jamais se comprendre.
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(*) https://www.facebook.com/chebbia2000us
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)