Alors que de nombreux analystes qualifient la période actuelle de retour du néomercantilisme, cet article défend la thèse selon laquelle l’économie mondiale contemporaine est plutôt marquée par un néoprotectionnisme à outrance. À travers l’exemple emblématique des politiques commerciales de l’administration Trump, mais aussi à la lumière de la crise de COVID-19 et de la montée du populisme économique, nous montrons que ces dynamiques relèvent davantage d’une logique défensive, populiste et conjoncturelle, que d’une stratégie économique étatisée à visée hégémonique.
Néoprotectionnisme versus néomercantilisme : clarifier les concepts
Le néomercantilisme désigne une stratégie étatique de long terme, visant à maximiser les excédents commerciaux, soutenir les champions nationaux, et renforcer la puissance géoéconomique. Il suppose une coordination entre politique industrielle, commerciale et monétaire, comme en témoigne le modèle chinois post-2000.
Le néoprotectionnisme, en revanche, est davantage réactif. Il traduit un repli défensif contre la mondialisation, via des barrières tarifaires, des restrictions à l’importation, ou des relocalisations, souvent motivées par des pressions politiques internes plutôt qu’une volonté de domination commerciale. Il est le reflet d’un populisme économique soucieux de protéger des secteurs ou des emplois jugés sacrifiés par le libre-échange.
Lire aussi : Néomercantilisme et géopolitique – Un retour stratégique ou un repli systémique ? (1/3)
Le cas Trump : un néoprotectionnisme populiste, non mercantiliste
L’élection de Donald Trump en 2016 symbolise un tournant majeur vers un néoprotectionnisme décomplexé. Sous la bannière « America First », l’administration Trump adopte des mesures tarifaires massives, souvent sans vision industrielle structurée.
Dès 2018, la guerre commerciale avec la Chine s’est traduite par des droits de douane exorbitants sans impact significatif sur le déficit commercial américain.
Par ailleurs, la taxation excessive de l’acier et de l’aluminium a touché même des alliés traditionnels comme le Canada ou l’Union européenne.
Ces politiques visaient avant tout à protéger certains électorats industriels, notamment dans la « Rust Belt », plutôt qu’à restructurer l’économie pour conquérir les marchés mondiaux. En cela, elles traduisent un protectionnisme défensif et électoraliste, bien éloigné d’un néomercantilisme étatique cohérent.
L’administration américaine a aussi remis en cause certains accords multilatéraux, tel que l’ALENA – remplacé par l’USMCA -, avec des clauses plus protectionnistes.
Ces politiques visaient avant tout à protéger certains électorats industriels, notamment dans la « Rust Belt », plutôt qu’à restructurer l’économie pour conquérir les marchés mondiaux. En cela, elles traduisent un protectionnisme défensif et électoraliste, bien éloigné d’un néomercantilisme étatique cohérent.
COVID-19 : accélérateur du repli économique
La pandémie de COVID-19 a révélé la vulnérabilité des chaînes de valeur mondialisées, provoquant un sursaut souverainiste. Les pénuries sanitaires, notamment de masques et de médicaments, ont incité à relocaliser les industries stratégiques.
De surcroît, des projets industriels régionaux, dans les batteries ou les semi-conducteurs, ont été lancés en Europe et en Asie, souvent motivés par la sécurité économique plus que par la compétitivité exportatrice.
Ces mesures, prises dans un contexte d’incertitude, relèvent d’un néoprotectionnisme « factuel » et « impulsionnel », détaché de tout socle doctrinal néomercantiliste.
Lire également : Géopolitique – La Tunisie à l’épreuve du néomercantilisme mondial (2/3)
Populisme économique : logique politique avant stratégie commerciale
La montée du populisme économique dans les démocraties libérales favorise des politiques commerciales réactives et identitaires, fondées sur le rejet des élites mondialisées. Des initiatives comme « Make in India », les appels à la souveraineté économique en Europe, ou encore les politiques anti-importations en Amérique latine s’inscrivent dans cette logique.
Ces politiques visent à protéger les économies nationales à court terme, sans plan stratégique cohérent pour renforcer les capacités exportatrices ou la puissance économique globale. L’État devient arbitre, non stratège.
La montée du populisme économique dans les démocraties libérales favorise des politiques commerciales réactives et identitaires, fondées sur le rejet des élites mondialisées. Des initiatives comme « Make in India », les appels à la souveraineté économique en Europe, ou encore les politiques anti-importations en Amérique latine s’inscrivent dans cette logique.
L’Union européenne : un protectionnisme normatif ?
Face à la concurrence déloyale, notamment chinoise, l’Union européenne adopte elle aussi des instruments défensifs, entre autres :
* DMA (Digital Markets Act) : impose des règles aux “gatekeepers” pour limiter les abus de position dominante.
* DSA (Digital Services Act): responsabilise les plateformes sur les contenus diffusés.
* Promotion de solutions européennes (cloud souverain, moteurs de recherche alternatifs).
* Investissements dans les technologies stratégiques via des programmes européens (ex. : GAIA-X).
* Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières a été instauré.
* Le filtrage des investissements étrangers est renforcé.
* Des subventions industrielles ciblées sont accordées dans les technologies vertes.
Ces mesures s’inscrivent dans un cadre de rééquilibrage et de sécurisation technico-économique, là encore la logique reste réactive, pas néomercantiliste.
Impacts géopolitiques des distinctions entre néoprotectionnisme et néomercantilisme sur les pays vulnérables
La distinction entre néoprotectionnisme et néomercantilisme a des conséquences majeures sur la géopolitique mondiale, en particulier pour les pays vulnérables à ces tendances.
Les pays émergents et en développement, souvent dépendants des exportations et des investissements étrangers, se retrouvent pris entre des puissances, comme la Chine, qui cherchent à étendre leur influence par des stratégies économiques cohérentes, et des économies majeures adoptant un néoprotectionnisme défensif, marqué par l’instabilité et l’arbitraire.
Dans ce contexte, les États vulnérables subissent des pressions accrues : l’accès à certains marchés clés se réduit brutalement en raison des barrières tarifaires ou non tarifaires. Tandis que les flux d’investissements étrangers directs deviennent plus imprévisibles.
Ce phénomène complique la planification économique et accroît les risques d’instabilité politique. Ces pays doivent alors naviguer entre la nécessité d’intégration dans les chaînes de valeur mondiales et le besoin de renforcer leur autonomie stratégique, souvent sans disposer des moyens étatiques ou financiers nécessaires.
L’économie mondiale connaît un retour du protectionnisme, sous une forme nouvelle : populiste, défensive, fragmentée et souvent improvisée. Contrairement au néomercantilisme, stratégique et structuré, ce néoprotectionnisme reflète une désillusion face à la mondialisation, un rejet du multilatéralisme et un repli sur les intérêts nationaux immédiats.
Par ailleurs, l’instabilité générée par le néoprotectionnisme, caractérisé par des mesures ponctuelles, parfois contradictoires accroît les tensions géopolitiques, notamment dans les régions fragiles, où la compétition pour l’accès aux ressources et aux marchés se double d’enjeux sécuritaires.
Ainsi, la montée du néoprotectionnisme impose aux pays vulnérables un exercice d’équilibre délicat, entre adaptation aux nouvelles règles du jeu économique mondial et développement d’une stratégie propre, qui devra sans doute conjuguer souveraineté économique et intégration sélective.
In fine, l’économie mondiale connaît un retour du protectionnisme, sous une forme nouvelle : populiste, défensive, fragmentée et souvent improvisée. Contrairement au néomercantilisme, stratégique et structuré, ce néoprotectionnisme reflète une désillusion face à la mondialisation, un rejet du multilatéralisme et un repli sur les intérêts nationaux immédiats. La politique douanière de Trump illustre un protectionnisme de crise, motivé par la peur, l’idéologie et des enjeux politiques internes, avec des conséquences géopolitiques importantes, notamment pour les pays vulnérables dépendants du commerce international, confrontés à une économie mondiale plus instable et conflictuelle.
A bon entendeur !
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Mahjoub Lotfi Belhedi
Chercheur en réflexion stratégique optimisée IA // Data Scientist & Aiguilleur d’IA