La Tunisie accuse un retard critique dans sa transformation digitale : malgré une décennie de discours sur la « numérisation », l’État fonctionne encore sans architecture numérique, sans registre national des données, sans interopérabilité et sans souveraineté technologique. C’est en tout cas ce qu’affirment plusieurs experts du domaine.
Avec des chiffres éloquents à l’appui : 68 % des services publics n’opèrent sur aucune infrastructure intégrée, 72 % des plateformes sont dupliquées, et un tiers des projets numériques explosent leurs budgets de 200 %. L’administration perd 40 % de son temps à chercher des données et 60 % à les vérifier, faute d’un système d’échange unifié.
Mais il y a plus grave encore, car 80 % des données publiques seraient dispersées sur plus de 150 serveurs obsolètes, souvent non chiffrés, parfois hébergés à l’étranger. Et s’il en est ainsi, c’est parce que la Tunisie ne disposerait d’aucune classification nationale des données et ne maîtrise pas ses codes sources : un véritable risque de souveraineté numérique, nous explique-t-on. La « numérisation » vantée par le ministère se limite à mettre en ligne les anciennes procédures, sans réingénierie : mêmes files d’attente, mêmes documents, mais derrière un écran. Le citoyen saisit plusieurs fois les mêmes données, faute d’interopérabilité.
Face à ce constat, l’État ne peut plus avancer à coups de plateformes isolées ou de projets sans cohérence, en ce sens que la solution exige une refondation profonde… sur six piliers :
1. Créer une autorité nationale de transformation numérique, dotée de pouvoirs supraministériels pour normaliser, superviser et stopper les projets défaillants.
2. Construire en 24 mois un registre national unifié des données (coût : 45 MDT, économies : 90 MDT/an) pour instaurer une Single Source of Truth.
3. Unifier l’État sur un GovStack tunisien, regroupant citoyen, entreprises et administration, permettant de rationaliser l’ensemble des 640 services publics.
4. Réengager la réingénierie : réduire les procédures de 17 à 4 étapes et diminuer les documents de 70 %.
5. Créer un Centre de souveraineté numérique, assurant cybersécurité, identité numérique, cloud souverain et propriété publique des codes sources.
6. Former 14 000 compétences dans les métiers clés du digital, condition indispensable pour une transformation durable.