Le professeur Mohamed Hssine Fantar, historien et membre de l’Académie tunisienne des sciences, des lettres et des arts (Beït al-Hikma), est intervenu jeudi 13 novembre au Palais Ennejma Ezzahra à Sidi Bou Saïd lors de la conférence internationale, organisé par la Fondation Ben Abbes Stichting, et consacrée au culte d’Isis en Tunisie. Dans son allocution introductive, l’universitaire a lancé un appel à repenser la manière dont les Tunisiens appréhendent leur passé, affirmant qu’un peuple ne se développe véritablement que lorsqu’il est capable de présenter lui-même son histoire plutôt que de la recevoir d’intermédiaires étrangers. Au passage, il a révélé que Carthage fut dotée de la première Constitution de l’histoire, saluée d’ailleurs par Aristote.
Mohamed Hssine Fantar a insisté sur un aspect méconnu : Carthage n’a jamais été une monarchie mais toujours une République. Il a affirmé que la première Constitution de l’histoire du monde est carthaginoise, saluée par Aristote dans sa « Politique ». Il précise que les germes républicains étaient présents dès la fondation, puisque la légendaire Didon (ou Elissa) n’avait pas de successeur désigné après son suicide, instaurant ainsi un pouvoir collectif partagé avec l’ensemble de la communauté.
Carthage (Qart Hadasht, « la ville nouvelle » en phénicien) fut précédée par la fondation d’Utique à la fin du deuxième millénaire, établie comme base militaire pour contrer l’avancée grecque en Afrique du Nord.
L’historien a également évoqué Magon, qu’il a qualifié de plus prestigieux savant en agronomie de Carthage. L’encyclopédie agronomique de Magon fut le seul livre que Scipion Émilien, qui présida à la destruction de Carthage en 146 avant Jésus-Christ, reçut l’ordre du Sénat de récupérer dans la bibliothèque carthaginoise pour le faire traduire au profit de l’agriculture romaine.
Un appel à la réappropriation de l’histoire nationale
Le professeur Fantar a poursuivi son intervention par un appel à repenser la manière dont les Tunisiens appréhendent leur passé, un élément qu’il considère comme essentiel pour bâtir l’avenir. « Un peuple se développe lorsqu’il est en mesure de présenter son histoire lui-même et non pas de l’apprendre par des intermédiaires », a-t-il déclaré. Tout en reconnaissant toutefois l’utilité de ces derniers. Il insistera sur la nécessité d’une lecture autonome du passé national.
Une civilisation millénaire aux racines multiples
L’historien a rappelé l’ancienneté de la civilisation tunisienne, évoquant la découverte près de Gafsa d’un sanctuaire considéré comme le plus ancien connu dans l’histoire de l’humanité, remontant à l’époque de l’homme du désert.
Selon le professeur Fantar, les liens entre cette région et l’Égypte pharaonique sont attestés dès l’Antiquité, notamment à travers les mercenaires libyques présents dans les armées de pharaon et documentés dans les textes égyptiens. L’influence égyptienne se manifeste à Carthage par le culte de divinités comme Isis et Osiris, dont la présence est confirmée par l’onomastique et les offrandes rituelles.
Quatre chapitres historiques distincts
L’universitaire a structuré l’histoire tunisienne en quatre grandes périodes. La première, dite libyque ou berbère, concerne les populations autochtones attestées depuis la haute Antiquité. Le terme « berbère », a-t-il précisé, n’était pas connu en Afrique du Nord avant l’arrivée des Byzantins, qui l’utilisaient pour désigner tous ceux qui ne parlaient ni grec ni latin. Les Arabes ont ensuite repris ce terme.
Il a souligné l’unité du Maghreb, dont témoignent les toponymes d’origine libyque conservés jusqu’à aujourd’hui. Il a toutefois regretté que la langue berbère n’ait pas atteint le statut de langue écrite, même sous le règne de Massinissa, à qui Scipion accorda un royaume en dehors des terres de ses ancêtres.
Les périodes romaine et arabe
La troisième période, romaine, débuta après 146 avant Jésus-Christ. Après une phase initiale de colonisation et d’exactions, la population s’est progressivement romanisée, développant une culture romaine proprement africaine avec ses spécificités linguistiques, reconnaissables par les philologues. Cette romanité s’est maintenue durant au moins dix siècles.
La quatrième et dernière période correspond à l’arabité actuelle. Le professeur Fantar a tenu à préciser que l’arabité est une culture et non une race, qualifiant d’erreur dangereuse l’idée d’une race arabe. Il a insisté sur le fait que les Tunisiens sont Arabes de langue, mais pas ethniquement, rappelant que tous les peuples se mélangent et qu’il n’existe que des mélanges.