Récemment nommée à la tête de l’incubateur EDCube à l’EDC Paris Business School, Chérine Zgaya-Bouzouita met à profit une expertise construite à la croisée de la recherche et de la pratique entrepreneuriale. Enseignante-chercheure et spécialiste de l’accompagnement des étudiants et jeunes entrepreneurs, elle défend une vision inclusive et humaniste de l’entrepreneuriat. Pour elle, entreprendre n’est pas un privilège mais un droit : celui de créer, d’agir et de contribuer, au-delà des barrières sociales et culturelles. Interview.
Si vous pouvez nous parler de votre parcours ?
Chérine Zgaya Bouzouita: Je suis diplômée d’une grande école de commerce, où j’ai orienté mes études vers le management, le marketing et l’entrepreneuriat. Très tôt, j’ai eu envie de confronter la théorie à la pratique en lançant mon premier projet entrepreneurial pendant mes études, une expérience qui a profondément marqué ma vision de l’entrepreneuriat et de l’apprentissage par l’action.
Aujourd’hui, je poursuis une thèse de doctorat consacrée à l’engagement entrepreneurial des étudiants pour proposer une refonte de l’accompagnement et la formation entrepreneuriaux.
Mon parcours se situe à la croisée de la recherche et de la pratique, puisque j’enseigne, j’accompagne des porteurs de projets et je dirige désormais l’incubateur EDCube à l’EDC Paris Business School.
Cette double posture me permet d’articuler la réflexion académique avec l’action de terrain, pour repenser la manière dont on forme et soutient les futurs entrepreneurs.
Quelle est votre vision de l’entrepreneuriat étudiant et comment souhaitez-vous la développer au sein de l’EDC ?
Pour moi, l’entrepreneuriat étudiant ne doit pas être réservé à une minorité déjà convaincue ou issue de milieux favorisés. Il doit être perçu comme un outil de formation, d’expression et d’émancipation, accessible à tous les profils.
Mon objectif est que chaque étudiant, qu’il ait ou non une idée précise de projet, puisse expérimenter, apprendre et se découvrir à travers la démarche entrepreneuriale.
À l’EDC, cette vision se traduit par la volonté de placer l’entrepreneuriat au cœur du parcours pédagogique : non pas comme une option, mais comme une compétence transversale.
Pour moi, il ne s’agit pas seulement de former des entrepreneurs créateurs d’entreprises, mais surtout des créateurs d’idées, de solutions et de valeurs, capables d’agir dans leur environnement.
C’est en cultivant cette posture d’acteur du changement que l’on forme les entrepreneurs — ou intrapreneurs — de demain.
Et c’est d’ailleurs ce qui fait la singularité de l’EDC, l’une des rares écoles de commerce à valoriser le parcours “étudiant-entrepreneur” et à reconnaître l’expérience entrepreneuriale comme une véritable composante du parcours académique.
Cette approche, je l’ai également mise en œuvre à travers différents projets menés en France, en Tunisie, en Égypte ou au Maroc, entre autre, tous guidés par la même ambition : rendre l’entrepreneuriat accessible au plus grand nombre.
Qu’il s’agisse de programmes de sensibilisation pour les étudiants, d’initiatives d’éducation à l’innovation ou de la mise en place de projets d’entrepreneuriat social et solidaire (ESS), ces expériences ont renforcé ma conviction que l’entrepreneuriat est un levier universel d’autonomie, de confiance et de transformation sociale.
Que signifie, selon vous, démocratiser l’entrepreneuriat afin qu’il soit à la portée de tous, notamment du citoyen lambda ?
On a souvent le sentiment que l’entrepreneuriat est un domaine complexe, réservé à une élite ou à ceux qui disposent déjà d’un réseau et de ressources financières. J’insiste sur ce ressenti, car il freine beaucoup de vocations. Certains profils hésitent à se lancer, que ce soit pour des raisons sociales, culturelles, familiales ou économiques. D’autres peinent à concilier vie personnelle et projet professionnel.
Les étudiants eux-mêmes rencontrent souvent davantage d’obstacles pour accéder à l’entrepreneuriat, qu’il s’agisse d’un manque de moyens, de confiance ou de soutien adapté. Ayant moi-même entrepris pendant mes études, je comprends bien les besoins et les attentes des étudiants, ainsi que les barrières qui les empêchent souvent de s’engager pleinement. Cette expérience m’a convaincue que les écoles et universités devraient accompagner tous les projets, y compris ceux dont le potentiel n’est pas uniquement économique mais aussi humain, social ou territorial.
On ne peut jamais prédire ce qui fonctionnera : l’essentiel est de créer les conditions pour que chacun puisse essayer, apprendre et progresser.
Je suis convaincue qu’un incubateur d’école n’a pas pour vocation d’accompagner uniquement les projets à fort potentiel économique, mais surtout d’aider les étudiants à développer leurs compétences entrepreneuriales : confiance, créativité, capacité à collaborer, à oser et à rebondir, confrontation à l’échec et au changement.
L’objectif n’est pas seulement qu’ils créent une entreprise pendant leurs études, mais qu’une fois diplômés, ils se sentent capables d’entreprendre, d’innover ou de porter des projets dans n’importe quel environnement : professionnel, personnel ou même citoyen.
C’est dans cette logique que j’ai eu la chance de concevoir et piloter plusieurs projets visant à rendre l’entrepreneuriat accessible au plus grand nombre, d’abord en France, puis à l’international.
Le premier projet, lancé en France puis étendu à l’échelle européenne, visait à accompagner des personnes victimes de violences domestiques dans leur reconstruction personnelle et professionnelle par l’entrepreneuriat. Cette initiative m’a profondément marquée, car elle a montré que l’entrepreneuriat pouvait être un outil de résilience, de reprise de confiance et d’autonomie économique.
Par la suite, j’ai co-développé un projet au Maroc et en Tunisie, avec des partenaires européens et maghrébins — notamment les universités de Sousse et de Gafsa pour la Tunisie — afin de permettre à des étudiantes issues de formations non managériales (sciences, lettres, droit, biologie, etc.) de transformer leurs idées en projets concrets.
L’un de ces projets m’a particulièrement marquée : une étudiante tunisienne avait conçu une puce capable de détecter les crises cardiaques. Lors des tests, son dispositif a permis de repérer une crise chez son associé, sauvant ainsi une vie. Ce type d’expérience illustre parfaitement ce que je défends : un entrepreneuriat porteur de sens, d’utilité et d’impact social. Depuis, d’autres programmes ont vu le jour, toujours avec la même ambition : donner à chacun la possibilité d’entreprendre, d’expérimenter et de se révéler.
Puisque l’on parle de démocratisation, je tiens aussi à nuancer la notion d’entrepreneuriat féminin.
Bien sûr, il est essentiel d’encourager les femmes à entreprendre, mais lorsqu’on parle d’accompagnement ou de formation, je préfère parler d’entrepreneuriat tout court.
En classe, on n’apprend pas à lire différemment aux filles et aux garçons. De la même façon, on ne devrait pas enseigner ou accompagner l’entrepreneuriat différemment selon le genre. c’est peut-être simpliste comme raisonnement, mais cela montre bien l’absurdité de distinguer par le genre dans ce contexte. Ce qui compte, c’est de donner à chacun les mêmes outils, les mêmes chances et la même confiance pour agir.
Vous avez réussi à gérer votre thèse tout en menant de nombreux autres projets : enseignement, création de programmes, développement d’initiatives… Quelle est la prochaine étape ?
À la direction de l’incubateur EDCube, ma priorité est de poursuivre la dynamique engagée au sein de l’EDC Paris Business School, afin de renforcer la place de l’entrepreneuriat dans la formation et l’expérience étudiante.
Je souhaite faire grandir l’incubateur, enrichir son offre d’accompagnement et renforcer les passerelles entre les étudiants, les alumni et les écosystèmes entrepreneuriaux.
L’entrepreneuriat fait partie de l’ADN de l’EDC, qui dispose d’un réseau exceptionnel de plus de 18 000 anciens élèves dans le monde, dont beaucoup sont créateurs ou dirigeants d’entreprise. C’est une force considérable pour créer des synergies, favoriser le mentorat et ouvrir les étudiants à l’international.
Plusieurs initiatives verront prochainement le jour : le service “Afro Entrepreneur”, destiné à accompagner nos étudiants et diplômés qui souhaitent entreprendre sur le continent africain ; la série “EDC Impact”, des soirées-débats autour de thématiques en lien avec l’innovation et l’entrepreneuriat — dont le premier épisode sera consacré aux créateurs d’idées ; ainsi qu’un podcast en préparation pour valoriser les parcours et les engagements de nos étudiants et Alumni.
À travers ces projets, je souhaite contribuer à faire de l’EDC un lieu où chacun peut devenir acteur du changement — qu’il soit entrepreneur, intrapreneur ou créateur d’idées. Ce qui m’anime avant tout, c’est de voir les étudiants oser, innover et donner du sens à leurs projets, dans l’esprit d’ouverture et d’engagement qui fait la force de l’EDC.
Quelle est votre vision ?
Ma vision repose sur trois priorités. La première, c’est de mettre l’accent sur les projets à impact, car l’entrepreneuriat ne se résume pas à la création d’entreprise. Il s’agit aussi de répondre à des besoins sociaux, environnementaux ou territoriaux.
De plus en plus d’étudiants portent des projets engagés, tournés vers l’innovation sociale ou la durabilité, et il est essentiel de leur offrir un cadre favorable pour les faire grandir.
La deuxième, c’est de cesser de distinguer les filles et les garçons dans l’enseignement et l’accompagnement entrepreneurial. On m’aura compris, l’entrepreneuriat n’a pas de genre : c’est avant tout un espace de liberté, de créativité et d’action. Ce qui compte, c’est de donner à chacun les mêmes outils, la même confiance et les mêmes opportunités pour entreprendre.
Enfin, je souhaite que l’incubateur s’inscrive pleinement dans une stratégie articulant recherche, pédagogie et valorisation.
C’est en croisant ces trois dimensions que l’on peut concevoir des dispositifs réellement pertinents : des programmes qui forment, expérimentent et contribuent aussi à la connaissance académique sur l’entrepreneuriat étudiant.
Un mot pour la fin ?
Si je devais conclure, je dirais que l’entrepreneuriat n’est pas une question de statut, mais d’intention. Peu importe d’où l’on vient ou ce que l’on fait, l’essentiel est d’agir, de créer quelque chose qui ait du sens et un impact autour de soi.
La réussite ne se mesure pas seulement en résultats ou en chiffres, mais dans ce que l’on apporte aux autres. C’est ça, pour moi, entreprendre : oser, apprendre et laisser une trace positive, à sa manière. Et si un étudiant en devenir se reconnaît dans cette vision… eh bien, rejoins-nous à l’EDC, on t’attend !