Le Royaume du Maroc est sous tension, depuis qu’un mouvement générationnel s’est lancé dans un cycle de manifestations à répétition dans plusieurs villes du pays. Si le collectif GenZ 212 demande de meilleurs services publics (de santé et d’éducation) et la démission du gouvernement, la mobilisation plonge ses racines dans les maux d’une société profondément inégalitaire, dont le pouvoir politique semble déconnecté. En cela, cet évènement qui n’est pas sans faire écho aux soulèvements des sociétés civiles arabes de 2011, intervient au moment où le bilan du règne de Mohammed VI se pose avec acuité.
En 1999, l’arrivée au pouvoir de Mohammed VI au Maroc coïncide avec une modernisation du pays : lancement de grands projets d’infrastructures; implantation de nouvelles activités industrielles; obtention d’un « statut d’État avancé » auprès de l’Union européenne; réformes à caractère social (le nouveau Code de la famille de 2004 améliore le statut des femmes en autorisant le mariage sans consentement des parents ou en limitant la polygamie); et politique (sur le plan du pluralisme et de la liberté d’expression).
L’écho historique du mouvement
Dans la période de 2005-2012, la croissance du PIB s’est appuyée sur une consommation intérieure soutenue par l’émergence d’une classe moyenne. Celle-ci ne s’est pas accompagnée d’une baisse sensible de la pauvreté, ni du taux d’analphabétisme. De profondes inégalités sociales perdurent dans une société marocaine gangrenée à tous les niveaux par le fléau de la corruption. Alors que seule une petite minorité proche du pouvoir a bénéficié de la libéralisation/privatisation de l’économie.
Ainsi, les maux de la société marocaine ont nourri la vague de contestations sociales et politiques portée par le « Mouvement du 20 février ». Né dans le contexte du soulèvement des peuples arabes en 2011, ce mouvement n’a pas épargné l’entourage du roi. Cette transgression, exprimée dans la volonté de « moraliser la vie publique », marque un premier point de rupture. Le souverain y répond habilement par une réforme constitutionnelle, dont la principale innovation est la désignation d’un Premier ministre issu de la formation politique arrivée en première position lors des élections législatives.
La perspective d’une monarchie parlementaire au Maroc est entrouverte… à terme. Outre la question de la séparation des pouvoirs, des avancées sont à noter sur le plan de la reconnaissance constitutionnelle des droits fondamentaux des sujets du Royaume : la présomption d’innocence; la lutte contre les discriminations; l’égalité entre homme et femme; la liberté d’opinion; le droit d’accès à l’information; le berbère comme seconde langue officielle. Toutefois, les pouvoirs régaliens restent dans les mains du roi, clef de voûte du système.
Un mouvement reflet d’une tension politique
Le mouvement est une réaction salutaire à l’inégalité structurelle (sociale et territoriale), à la corruption systémique et à la captation des richesses nationales par une petite minorité dont les pratiques prédatrices nourrissent la défaillance de secteurs aussi essentiels que la santé et l’éducation. Si cette réaction est portée et incarnée par la jeunesse, c’est parce qu’elle subit ces défaillances, tout en étant confrontée à l’absence de réelle mobilité sociale sur fond de chômage de masse.
Si pour l’instant, cette jeunesse engagée évite la confrontation frontale avec le roi, la part de responsabilité de ce dernier dans les maux de la société marocaine est indéniable. Sa fonction de garant de l’unité nationale devrait le conduire à intervenir, au moment où le sentiment de sa déconnexion avec son propre peuple ne cesse de croître. Outre la problématique de son train de vie, son choix stratégique de nouer une alliance stratégique avec Israël vient symboliser cette déconnexion avec l’attachement populaire à la cause palestinienne. Le port du keffieh par de nombreux jeunes manifestants n’est pas anecdotique : il symbolise ici un risque de rupture avec le pouvoir.