La Tunisie fait face à une accélération sans précédent des départs à l’étranger, selon les données définitives du recensement général de la population et de l’habitat pour l’année 2024, dévoilées lors de la sixième réunion de la Commission nationale dédiée, tenue ce lundi 29 septembre 2025. L’analyse met en lumière une transformation profonde des dynamiques migratoires, qu’elles soient tournées vers l’extérieur ou inscrites dans le paysage national.
L’émigration connaît une nette progression. Sur la période récente 2019-2024, ce sont 156 497 Tunisiens qui ont quitté le territoire, un chiffre qui contraste fortement avec les 65 927 départs enregistrés entre 2009 et 2014. Cette hausse s’accompagne d’une féminisation croissante du phénomène : la part des femmes est passée de 16,7 % à 25,2 % en dix ans.
Cette population expatriée reste majoritairement jeune, concentrée dans la tranche des 20 à 34 ans, confirmant une émigration d’individus en âge de travailler plutôt que de familles complètes. Leur profil est également celui d’une main-d’œuvre qualifiée, avec 45,6 % des émigrants ayant un niveau d’instruction secondaire et 39,5 % un niveau supérieur.
La géographie des destinations a, elle aussi, considérablement évolué. L’Europe affirme son attractivité, avec la France qui accueille désormais 61 943 émigrants tunisiens, contre 27 556 auparavant. L’Italie et l’Allemagne suivent cette tendance, avec respectivement 27 553 et 12 450 arrivées. À l’inverse, la Libye, destination historique, enregistre un net recul, passant de 10 644 à 3 742 personnes.
Les motivations restent ancrées dans la réalité économique du pays. La recherche d’un emploi motive 45,5 % des départs, tandis que l’obtention d’un contrat ou une mutation professionnelle concerne 22,7 % des cas. Les études représentent 15,8 % des motivations, et les raisons familiales 9,4 %.
Immigration étrangère : une présence jeune et diplômée, mais une intégration laborale limitée
Dans le même temps, la Tunisie attire une population étrangère évaluée à 14 570 personnes entre 2019 et 2024, composée à 61,8 % d’hommes et 38,2 % de femmes. Cette immigration est principalement portée par les jeunes adultes de 20 à 29 ans.
Le niveau d’éducation de ces nouveaux résidents est globalement élevé, avec 42,5 % de diplômés de l’enseignement supérieur et 31 % du niveau secondaire. Cependant, leur insertion sur le marché du travail est limitée, puisque seulement 33,2 % exercent une activité professionnelle. Une large majorité, 57,2 %, se trouve en dehors de la population active.
Le Grand Tunis polarise cette présence étrangère, avec Tunis qui concentre à elle seule 37,3 % des effectifs, suivie par Ariana (18,2 %). Sousse (11,3 %), Médenine (5,8 %) et Sfax (5,3 %) complètent le palmarès des pôles d’accueil. Les ressortissants d’Afrique subsaharienne constituent le premier groupe avec 33,6 %, devant les Algériens (19,1 %) et les Libyens (13,2 %).
Mobilité interne : un ralentissement des grands flux interrégionaux
Le recensement a également mesuré les mouvements de population à l’intérieur du pays, qui ont concerné 928 974 personnes sur la période. La migration entre gouvernorats a toutefois diminué, passant de 430 553 personnes (2009-2014) à 228 458 (2019-2024).
Ces migrants internes sont de plus en plus éduqués : la part des diplômés du supérieur dépasse désormais celle des détenteurs d’un baccalauréat. Les jeunes adultes, et particulièrement les femmes, sont les plus mobiles.
L’analyse des soldes migratoires internes révèle des attractivités territoriales contrastées. L’Ariana, Ben Arous et Sousse enregistrent les plus fortes arrivées nettes, avec des gains respectifs de 17 804, 12 851 et 11 240 personnes. À l’inverse, les gouvernorats de Tunis, Kairouan et Kasserine subissent les départs les plus importants. D’autres, comme Gabès et Sfax, présentent des équilibres relatifs.
Ce tableau détaillé, dressé par l’INS, confirme que les mouvements de population, qu’ils soient internes ou internationaux, redessinent en profondeur le paysage démographique et social de la Tunisie.