Alors que salariés et demandeurs d’emploi saluent la modernisation d’un Code du travail jugé désuet; les entreprises prestataires de services font face à une contrainte financière inédite qui pourrait compromettre leur survie.
La récente réforme du Code du travail suscite des réactions diamétralement opposées selon qu’on se place du côté des travailleurs ou des entrepreneurs. Si la titularisation généralisée et l’élimination des contrats précaires représentent une avancée sociale majeure, l’obligation imposée aux prestataires de services de constituer une garantie bancaire équivalant à 20 % du montant total de leurs contrats soulève de vives inquiétudes dans les milieux économiques.
Une mesure sécuritaire aux lourdes implications
Slim Rekik, expert en droit du travail et gestion des ressources humaines, a décortiqué pour L’Economiste maghrébin les implications pratiques de cette disposition introduite par un arrêté d’application récemment publié au Journal officiel. Ce texte complète la loi n°2025-9 du 21 mai 2025, qui réglemente les contrats de travail et prohibe la sous-traitance de main-d’œuvre.
Lire aussi: Publication d’un décret interdisant la sous-traitance
L’arrêté ministériel du 23 septembre 2025 relatif à l’application de l’article 30/4 de la loi 9/2025 du 21 mai 2025 prévoit désormais qu’à chaque signature de contrat de prestation de service ou de réalisation de travaux, l’entreprise prestataire doit déposer auprès d’une institution bancaire ou financière, dans un délai maximum de trois jours, une garantie représentant un cinquième de la valeur contractuelle totale. Cette caution vise exclusivement à sécuriser le paiement des salaires et règlement des cotisations à la CNSS des employés du prestataire en cas de défaillance ou de retard excédant sept jours.
Le mécanisme est clair : si l’entreprise prestataire ne règle pas ses salariés dans les délais impartis, le donneur d’ordres doit intervenir directement pour honorer ces rémunérations. Puis il exercera une opposition bancaire afin de se faire rembourser via la garantie constituée.
Un calcul contesté par les professionnels
L’une des principales critiques formulées par Slim Rekik concerne la base de calcul retenue. Selon lui, indexer la garantie sur l’intégralité du montant du marché, incluant matériaux, frais généraux et marge bénéficiaire, constitue une aberration. Une approche plus rationnelle aurait consisté à l’appliquer uniquement sur la masse salariale effective, proportion bien moins élevée dans la plupart des prestations.
Cette décision, prise quatre mois après la promulgation du Code du travail et vraisemblablement après consultation des services du ministère des Finances, semble avoir privilégié une logique de précaution maximale au détriment de la viabilité économique des acteurs de terrain.
Les TPE et PME en première ligne
L’impact potentiel sur le tissu économique, largement dominé par les très petites, petites et moyennes entreprises, suscite l’inquiétude. Pour ces structures souvent sous-capitalisées et confrontées à des tensions de trésorerie chroniques, mobiliser 20 % de chaque contrat sous forme de garantie bancaire relève du défi, voire de l’impossible.
Cette exigence risque de produire un effet d’éviction : nombre de TPE-PME pourraient se voir exclues de marchés qu’elles auraient pu techniquement honorer, faute de capacité à constituer la caution requise. Dans certains cas, la pérennité même de l’activité pourrait être compromise.
Une protection sociale à quel prix économique ?
Le paradoxe est manifeste : conçue pour protéger les droits des salariés employés par les prestataires de services contre d’éventuels impayés, cette mesure pourrait fragiliser les entreprises censées employer ces mêmes travailleurs. Dans un contexte économique marqué par un accès au crédit bancaire de plus en plus restrictif et des contraintes de liquidité généralisées, la question de la faisabilité se pose avec acuité.
Peut-on raisonnablement exiger d’un prestataire en difficulté de trésorerie qu’il immobilise des sommes considérables en garantie? Alors même que cette immobilisation aggravera ses tensions financières ? L’équation semble difficile à résoudre.
L’épreuve du terrain
Seule la pratique permettra d’évaluer l’impact réel de cette disposition. Les prochains mois constitueront un test grandeur nature pour mesurer la capacité d’adaptation du secteur et identifier d’éventuels ajustements nécessaires. Les retours d’expérience des entreprises prestataires fourniront des données essentielles pour juger de la pertinence et de la soutenabilité de cette mesure à moyen terme.
La réforme du Code du travail illustre, une fois de plus, la tension permanente entre impératifs de protection sociale et contraintes de réalité économique. Reste à savoir si l’équilibre trouvé par le législateur s’avérera viable ou nécessitera des corrections de trajectoire.
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