L’école publique tunisienne, jadis pilier de la méritocratie et principal moteur d’ascension sociale depuis l’indépendance, ne remplit plus sa fonction fondamentale. Elle est devenue une machine à reproduire les inégalités sociales et régionales, où la réussite est désormais directement conditionnée par la richesse des familles et la région d’origine de l’élève.
L’école publique tunisienne, jadis pilier de la méritocratie et principal moteur d’ascension sociale depuis l’indépendance, n’assure plus sa fonction fondamentale. Elle reproduit désormais les inégalités sociales et régionales, et la richesse des familles comme la région d’origine de l’élève déterminent directement la réussite. Ridha Zahrouni, président de l’Association tunisienne des parents et des élèves, dresse ce constat alarmant et détaillé. Il dénonce la fin du mythe de l’école publique gratuite et affirme que le modèle éducatif s’est effondré, car il ne garantit plus l’égalité des chances pour tous les enfants du pays. Il estime que le système actuel ne combat plus la pauvreté et l’ignorance : il les institutionnalise et rompt brutalement avec l’idéal post-indépendance.
M. Zahrouni explique que l’idée d’un enseignement public gratuit n’a plus de sens dans la réalité vécue par les familles tunisiennes. Les parents doivent investir massivement dans les cours particuliers pour assurer la réussite scolaire de leurs enfants, dès l’école primaire et jusqu’aux études supérieures, pendant l’année scolaire comme durant les vacances d’été.
Ces cours couvrent pratiquement toutes les matières. Cette logique transforme de facto l’école publique en système payant pour ceux qui aspirent à la réussite. Elle creuse un fossé infranchissable entre les familles capables de financer ce soutien et celles qui ne le peuvent pas. Comme le pouvoir d’achat des ménages ne cesse de se dégrader, les parents supportent un coût de rentrée scolaire écrasant qui s’ajoute à de multiples autres charges. Pour M. Zahrouni, le gouvernement aggrave encore la situation en n’adoptant aucune disposition nouvelle pour alléger ce fardeau, alors que les familles attendent depuis longtemps des mesures en faveur de la qualité éducative.
Les chiffres qu’il cite révèlent l’ampleur de la crise avec une précision glaçante. Les taux de réussite officiels au baccalauréat paraissent acceptables, mais la réalité statistique se montre bien plus sombre : sur une cohorte d’élèves nés la même année et entrant ensemble à l’école, seulement 17 % obtiennent leur diplôme. Ce résultat catastrophique provient d’un décrochage scolaire massif qui touche près de 50 % des élèves. Concrètement, chaque année, sur une génération de 200 000 jeunes, environ 100 000 quittent le système éducatif avant d’atteindre le baccalauréat. Les écarts régionaux confirment cette fracture : les élèves des régions côtières aisées affichent des taux de réussite bien supérieurs, tandis que ceux de l’intérieur connaissent les taux de décrochage les plus forts. Cette disparité illustre la déclaration du président de la République : « Il suffit d’observer les résultats des examens nationaux pour localiser la pauvreté dans le pays. »
Ridha Zahrouni attribue cette faillite systémique à plusieurs décennies de réformes mal conçues et à une instabilité politique chronique. Depuis 2011, plus d’une dizaine de ministres de l’Éducation se sont succédé sans définir de vision ni de projet cohérent. Il affirme que l’une des décisions les plus dommageables fut l’annulation, en 1991, de l’obligation du concours de la sixième année, initialement instaurée pour limiter le décrochage précoce en primaire.
Cette décision a institutionnalisé implicitement le passage automatique des élèves jusqu’à la fin de la phase préparatoire. La loi d’orientation de 2002 a consolidé cette politique. En conséquence, de très nombreux élèves arrivent au collège puis au lycée sans maîtriser le niveau requis. Comme ils atteignent à 16 ans la fin de leur droit légal à la scolarisation, l’école les pousse à partir sans compétences suffisantes. Ce mécanisme a aussi ghettoïsé certaines filières, comme la section lettres, où le taux d’échec au baccalauréat atteint un dramatique 78 %.