A la mi-septembre, l’INS annonce une dégradation de la balance commerciale, une de plus. Au même moment, l’Agence de notation Fitch – en attendant Moody’s – avec laquelle nous ne sommes pas en odeur de sainteté, vient de relever la note souveraine d’un cran qui vaut son pesant d’or. On monte d’une marche, de C à B- avec perspective stable. Hier encore pointée comme un pays à haut risque, la Tunisie devient fréquentable pour les marchés financiers et les bailleurs de fonds même si, au passage, ils s’entourent de précautions puisque le pays ne quitte pas pour autant la zone spéculative. L’Agence évoque « l’amélioration de la position extérieure du pays » et fait même état d’une « consolidation progressive à la situation économique du pays ».
Pour compléter le tableau, il y a lieu de rappeler que l’envolée des importations de biens de consommation a d’autres origines que l’improbable amélioration du pouvoir d’achat national. Il faut surtout y voir le signe d’une perte continue de production nationale, d’une désindustrialisation et d’un décrochage économique en raison de la chute ininterrompue de la courbe de productivité.
Chercher la faille ou l’erreur ? Pas forcément. Le paradoxe n’est qu’apparent, sinon on ne comprendrait rien à la réalité de l’économie. A y voir de plus près, il y a même une certaine cohérence qui n’échappe pas aux économistes et aux professionnels de l’économie. Les déficits extérieurs n’ont pas les mêmes origines et n’ont pas la même tonalité. Il y en a qui sont meilleurs que d’autres. Ceux en tout cas qui sont le reflet d’un mouvement de reprise de la croissance économique. La raison est que chez nous, la croissance dépend largement des importations, notamment en raison de l’intensité de notre intégration dans les chaines de valeur mondiales et de la taille du pays.
Cette explication, si elle est plausible, ne vaut qu’en partie. Et pour cause ! Il y a aussi le fait que les exportations s’essoufflent – quand elles ne reculent pas – dans un certain nombre de secteurs pourtant à fort potentiel de développement, alors que les importations continuent sur leur lancée avec notamment une reprise, pour le moins rassurante, des achats de matières premières, d’équipements et de semi-produits. Pour autant, l’essentiel du déficit extérieur est provoqué par notre consommation d’énergie. La production d’hydrocarbures et de gaz est en chute libre et les énergies renouvelables sont à des années-lumière de combler notre déficit en la matière.
Quinze années d’immobilisme et de tergiversations législatives d’un autre âge ont figé l’exploration et l’exploitation de nouveaux gisements. On n’a pas fini d’en payer le prix. Les importations de carburant – qu’on aurait pu et dû éviter – ont lourdement pesé sur les dépenses d’infrastructures économiques et sociales et sur les investissements d’avenir. Et pour compléter le tableau, il y a lieu de rappeler que l’envolée des importations de biens de consommation a d’autres origines que l’improbable amélioration du pouvoir d’achat national. Il faut surtout y voir le signe d’une perte continue de production nationale, d’une désindustrialisation et d’un décrochage économique en raison de la chute ininterrompue de la courbe de productivité. A quoi d’ailleurs s’ajoutent les effets déstructurants et ravageurs d’importations sauvages qui alimentent l’économie informelle. C’est là où réside le danger. Même si au passage on se réjouit du rebond de la croissance, la menace est bien réelle.
Il ne faut surtout pas perdre de vue le fait que le déficit extérieur serait beaucoup plus lourd s’il n’y avait pas eu une certaine détente, voire un recul des prix des matières premières, des céréales et des carburants. Moralité : croissance ou pas, l’inquiétude persiste et elle est même plus forte que jamais.
Ce qui n’est pas sans impacter la parité du dinar, soumis à de fortes pressions et objet de dévaluations compétitives pour corriger le différentiel d’inflation et de productivité. Dépréciation du reste sans grands effets sur la relance des exportations, au risque de renchérir les importations.
Croissance-déficit extérieur : l’équation est immuable et il y a là une relation de cause à effet, même si d’autres facteurs entrent en ligne. C’est dans l’ordre des choses. Avec à la clé une baisse, certes relative mais assez significative, de nos réserves de change. Ce qui n’est pas sans impacter la parité du dinar, soumis à de fortes pressions et objet de dévaluations compétitives pour corriger le différentiel d’inflation et de productivité. Dépréciation du reste sans grands effets sur la relance des exportations, au risque de renchérir les importations.
On l’aura compris : la reprise de la croissance – 3.2% au cours du deuxième trimestre 2025 – justifie sinon jette un voile sur le déficit commercial. Mais par quel miracle on voit tourner le vent du côté des Agences de notation ? Elles reviennent à de meilleurs sentiments, comme pour rattraper des erreurs ou des sanctions qui n’auraient jamais dû être prises, dans un souci d’autonomie et d’impartialité. A moins qu’elles aient d’autres raisons que la raison ignore.
Certes, il est vrai que le pays a su et pu déjouer leur crainte et leur appréhension. Il a honoré ses engagements financiers en l’absence en 2022 d’un accord avec le FMI, alors que celui-ci nous mettait en garde contre l’apocalypse et le défaut de paiement.
Depuis, contre vents et marées, le pays a pu remonter la pente, en mettant à contribution, jusqu’au bout de l’effort, les banques locales et l’Institut d’émission. Ce qui ne nous a pas empêchés de recourir faiblement aux emprunts extérieurs, quoique à des conditions onéreuses. La Tunisie de Kaïs Saïed s’est imposé une cure d’austérité qui dépasse même en intensité la thérapie de cheval du FMI : moins de dépenses de subventions en raison du recul des importations de biens de première nécessité, mais pas que, une plus grande maîtrise des salaires de la fonction publique. Sans qu’il y ait eu de véritables réformes pour mettre fin notamment au gâchis qui règne au sein des entreprises publiques par qui les déficits et souvent le scandale arrivent.
Se pourrait-il que ces Agences soient allées très loin dans leur jugement en manquant de discernement, pour nous enfoncer, à l’issue de plusieurs dégradations, dans les abîmes, en compagnie de pays à très hauts risques, quasiment faillis ? Serait-ce le retour à la normalité, loin de toute interférence géopolitique mondiale ? Sinon comment se fait-il que leur homologue, l’Agence japonaise connue pour sa rigueur et sa crédibilité, ne leur ait pas emboîté le pas ? L’histoire le dira.
Mais il n’est pas anodin qu’on remonte, fût-ce d’une marche, sur l’échelle d’évaluation de Fitch, en attendant Moody’s. Fini le traumatisme des C. En montant d’un cran à B-, il y a de quoi dissiper, ne serait-que partiellement, l’inquiétude des marchés et les appréhensions des investisseurs étrangers. Ici, la satisfaction et le gain sont plus d’ordre moral que financier, dès lors que l’exécutif tunisien n’est pas très enthousiasme à l’idée de solliciter les marchés financiers, au nom du sacrosaint principe du « compter-sur-soi » auquel est viscéralement attaché le Président Kaïs Saïed. Surtout qu’en matière de remboursement extérieur, il ne restait qu’une seule échéance conséquente en juillet 2025.
L’occasion pour nous de renouer avec la position et le statut qui furent les nôtres quand le pays évoluait sur le toit de l’Afrique. Seule certitude, le chemin qu’il faut parcourir sera long, difficile, escarpé et coûteux en effort, en qualité, en travail et en discipline, mais pas inaccessible ou impossible.
Il n’empêche ! L’important est que cette remontée soit le signal, point de départ d’un redressement total. Car, il y a loin de la coupe aux lèvres. Avant de retrouver les 2B, et pourquoi pas le triple B qui signifie le « grade investissement». L’occasion pour nous de renouer avec la position et le statut qui furent les nôtres quand le pays évoluait sur le toit de l’Afrique. Seule certitude, le chemin qu’il faut parcourir sera long, difficile, escarpé et coûteux en effort, en qualité, en travail et en discipline, mais pas inaccessible ou impossible. Si d’autres l’ont fait sans qu’ils aient davantage de potentiel de développement que nous, c’est que nous pouvons nous aussi y parvenir.
Le pays est riche en capital humain, il dispose d’un socle industriel qui surprend par son incroyable résilience, d’une jeunesse créative, de startups qui maitrisent l’IA et les technologies émergentes. Elles ont, il est vrai, du mal, sans être les seules, à se libérer de leurs chaînes, des complexités procédurales et d’un système de change d’un autre âge au moment même où la mondialisation se prépare à un nouveau tournant. Un seul mot d’ordre : faire sauter tous les verrous qui freinent l’innovation, l’investissement et la croissance. La législation du travail, la fiscalité, les lois bancaires, l’impératif environnemental doivent être perçus comme de véritables leviers de développement plutôt que de s’ériger en poids morts de nature à compromettre la compétitivité des entreprises et leur capacité d’adaptation. Réformer et repenser le rôle de l’Etat trop omniprésent, à l’efficacité douteuse, n’est plus une option mais une ardente obligation.
Au fond, de quoi avons-nous le plus besoin pour nous arracher du piège de la récession, nous engager dans une trajectoire de développement durable, mettre fin à notre décrochage et redresser l’économie ?
Ce ne sont pas les moyens qui manquaient le plus. Il ne faut rien de moins qu’une volonté commune, une ambition nationale partagée et un ralliement sans faille autour d’un vaste dessein national. Qui nous ont fait tant défaut.