Le système fiscal appliqué à l’agriculture ne favorise pas les exploitants agricoles, principalement parce qu’il ne prend pas en compte les spécificités fondamentales du métier d’agriculteur. C’est le constat dressé par Leith Ben Becher, président d’honneur de l’association pour l’agriculture durable et fondateur du Syndicat des agriculteurs de Tunisie.
Notre invité dénonce le système fiscal agricole une « injustice qui dure depuis très longtemps » et appelle à des réformes urgentes pour corriger des failles qui fragilisent un secteur déjà mis à rude épreuve par les aléas climatiques. Au cœur de ses préoccupations se trouvent la gestion de la TVA, l’absence de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle pour l’année 2024 et la suspension du fonds d’indemnisation des calamités agricoles.
Le principal problème, selon M. Ben Becher, réside dans l’absence d’un statut juridique clairement défini pour les agriculteurs. Cette lacune a une conséquence directe sur leur traitement fiscal, notamment en matière de TVA. Contrairement aux autres professions, l’agriculteur est considéré comme un consommateur final. Lorsqu’il achète des intrants, des pièces de rechange ou des services nécessaires à son exploitation, il paie une TVA qu’il ne peut ni déduire ni récupérer.
Cette charge non déductible pèse lourdement sur ses finances, d’autant plus que les prix de vente de nombreux produits agricoles sont administrés à l’avance, l’empêchant d’impacter ce coût sur le consommateur. Cette situation crée une distorsion par rapport à d’autres corps de métier, comme un menuisier qui intègre la TVA sur ses matières premières dans le prix de vente final de son produit. Hormis ce point, le reste du système d’imposition est globalement équivalent aux autres secteurs, sauf pour certaines sociétés agricoles spécifiques.
Ben Becher souligne également deux points critiques qui nécessitent une réparation immédiate. Le premier concerne l’année 2024, qualifiée d’ « année sinistrée » pour de nombreuses cultures pluviales comme les céréales, les légumineuses et les fourrages. Malgré des pertes considérables, les pouvoirs publics n’ont pas publié de décret déclarant officiellement l’état de catastrophe naturelle au sens juridique du terme. Cette absence de reconnaissance officielle a un double impact négatif. D’une part, elle prive les agriculteurs de la possibilité de se prévaloir de cette situation auprès des banques pour obtenir des reports d’échéances ou des aménagements de crédits, les institutions financières ne pouvant pas non plus appliquer de règles spécifiques liées à un cas de force majeure.
D’autre part, elle pénalise doublement les agriculteurs qui, en cas de bonne récolte l’année suivante, devront non seulement assumer les dépenses de la nouvelle campagne mais aussi rembourser les arriérés de l’année sinistrée, un fardeau particulièrement lourd après plusieurs saisons difficiles. Le second point soulevé est directement lié à cette situation : la suspension unilatérale par le gouvernement du Fonds d’indemnisation des calamités naturelles (FIDAC).
Ce fonds, mis en place en 2018, fonctionnait comme une assurance spécifique permettant aux agriculteurs cotisants de récupérer une partie de leurs dépenses en cas de sinistre naturel avéré. Or, le mécanisme de déclenchement de cette assurance est l’annonce officielle de l’état de catastrophe naturelle. Puisque cette annonce n’a pas eu lieu pour la saison 2024, les agriculteurs qui avaient souscrit et payé leurs cotisations se retrouvent dans l’impossibilité de réclamer une indemnisation. Pour Leith Ben Becher, cette situation est comparable à celle d’une personne qui paie une assurance incendie mais ne peut rien réclamer après un sinistre. Cette rupture pose un grave problème de confiance dans la parole publique et l’engagement de l’État, tout en perturbant le fonctionnement normal des exploitations agricoles.