Une nouvelle étape vient d’être franchie dans la «riposte graduée» promise par le ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau. Désormais, même avec un passeport diplomatique, les ressortissants algériens ne peuvent franchir les frontières françaises sans présenter aux autorités un visa. Alger ripostera par des mesures similaires fondées sur le principe de réciprocité.
Nouveau rebondissement dans le feuilleton des relations tumultueuses entre l’Algérie et l’ancienne puissance coloniale ; lesquelles reposent désormais sur une fine couche de glace qui peut rompre à tout instant.
Dernier acte en date ? La réaction d’Alger à la récente décision de l’État français de geler un accord bilatéral qui date de 2013. Et ce, en imposant un visa aux détenteurs algériens de passeports diplomatiques.
Ainsi, dans un communiqué publié lundi 19 mai, le ministère algérien des Affaires étrangères exprime son étonnement des « récents développements dans la gestion et la rhétorique des autorités françaises concernant la question des visas en général, et l’exemption de cette procédure des titulaires de passeports diplomatiques et de service en particulier ».
Face à cette situation, poursuit le communiqué, le ministère des Affaires étrangères algérien annonce qu’« il prendra des mesures équivalentes, fondées sur le principe de réciprocité ». Il s’agit, de « tirer toutes les conséquences du comportement français, jugé contraire à l’esprit et à la lettre de l’accord bilatéral ».
Escalade
Notons que cette affaire a pris de l’ampleur depuis que le quotidien de droite, Le Figaro, a révélé que dans le cadre de la « riposte graduée » promise par Bruno Retailleau, le ministre de l’Intérieur vis-à-vis de l’Algérie – suite au refus par Alger de reprendre sur son territoire une soixantaine d’individus jugés dangereux par la France et ayant déclenché en mars dernier une crise diplomatique entre Paris et Alger -, désormais, même avec un passeport diplomatique, les ressortissants algériens ne peuvent franchir les frontières françaises sans présenter aux autorités un visa.
Rappelons que les autorités algériennes ont refoulé vendredi 9 mai deux agents de la direction de la sécurité intérieure (DGSI) française qui s’étaient présentés à l’aéroport international d’Alger avec des passeports diplomatiques. Samedi 10 mai, le ministère algérien des Affaires étrangères a convoqué le chargé d’affaires de l’ambassade de France à Alger pour lui demander de « rapatrier immédiatement » 15 agents, dont « l’affectation est irrégulière ».
En réponse à cette décision « injustifiée et injustifiable », selon le Quai d’Orsay, l’état-major de la direction générale de la police nationale (DGPN) a envoyé, samedi 17 mai, à la police des frontières une note interne exigeant que « le ressortissant algérien, titulaire de passeport diplomatique ou de service qui ne détient pas de visa lors de la présentation en entrée aux PPF [Points de passages frontaliers NDLR] (aériens et maritimes) fera l’objet d’une procédure de non-admission / refoulement ». Cette mesure est « immédiate », précise la même source.
En effet, jusqu’à présent, les détenteurs de ces passeports en étaient exonérés, et ce, depuis l’accord de 2013 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire. Ces accords permettaient aux ressortissants Algériens munis d’un passeport diplomatique d’avoir « accès sans visa aux départements français métropolitains, pour un séjour ininterrompu ou plusieurs séjours dont la durée totale ne dépasse pas 90 jours au cours d’une période de 180 jours à compter de la date de première entrée ».
Des relations en dents de scie
Rappelons à ce propos que les relations entre Alger et Paris se sont dégradées depuis l’été 2024, sur fond de reconnaissance par Paris de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. En réaction, l’Algérie a retiré son ambassadeur à Paris et le président Tebboune a annulé un déplacement en France, prévu initialement en septembre 2024.
L’emprisonnement, en novembre 2024, de l’écrivain algéro-français, Boualem Sansal, a compliqué davantage la situation, tout comme le refoulement de migrants en situation irrégulière visés par des obligations de quitter le territoire français, dont l’influenceur algérien Doualemn.
Pourtant, un début d’apaisement est ensuite intervenu avec l’appel téléphonique Macron-Tebboune, à l’occasion de l’Aïd el-Fitr, fin mars, suivi d’une visite à Alger du ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères, le 6 avril dernier, marquant « une nouvelle phase dans une relation d’égal à égal » entre la France et l’Algérie.
Reçu par le chef de l’État algérien, le chef de la diplomatie française avait affirmé que les deux pays avaient « décidé de tourner la page ». Toutefois, l’arrestation d’un cadre consulaire algérien, début avril à Paris, dans le cadre d’une enquête judiciaire sur la présumée tentative d’enlèvement de l’opposant algérien « Amir DZ », a suscité la colère d’Alger qui n’a pas tardé à exprimer sa contestation auprès de l’ambassadeur de France à Alger, considérant que l’arrestation d’un cadre consulaire à Paris est venue « torpiller » les récents progrès diplomatiques entre les deux pays.
Ambitions présidentielles
Mais, qui cherche à « torpiller » tout rapprochement entre les deux rives de la Méditerranée ? Pour Alger, la réponse coule de source : l’homme qui ne cesse de souffler sur la braise n’est autre que le patron de la place Beauvau. Et pour cause.
Elu dimanche dernier à la présidence des Républicains après avoir écrasé son adversaire Laurent Wauquiez, avec plus de 74 % des voix, Bruno Retailleau, l’homme fort d’un gouvernement fragile sous la menace constante d’une motion de censure, risque de faire la concurrence à Marine Le Pen, candidate « naturelle » du RN pour la prochaine présidentielle, mais en danger d’être condamnée a de l’inéligibilité en appel. Or, c’est un secret de Polichinelle que le nouveau patron de la droite caresse des ambitions présidentielles pour 2027.
Avec quelles armes ? Faire de la surenchère sur les débats brûlants sur l’identité, l’immigration, et l’intégration en imposant une ligne très dure au sein du gouvernement, notamment sur l’Algérie. Quitte à piétiner les liens historiques entre la France et l’Algérie ? Cela semble être le dernier souci de ce Rastignac qui ne songe pas à la future présidentielle qu’en se rasant.