Huit décennies déjà! Il y a huit décennies jour pour jour se tenait le 4 février 1945 à Yalta en Crimée la Conférence des vainqueurs de la Seconde guerre mondiale pour tirer les conséquences du désastreux conflit et discuter des nouveaux arrangements sécuritaires dans le monde.
La Grande Bretagne, les Etats-Unis et surtout l’Union soviétique étaient les trois principales puissances qui avaient contribué le plus à l’écrasement des armées hitlériennes. Il était donc naturel que les trois dirigeants de ces pays, Winston Churchill, Franklin Roosevelt et Joseph Staline fussent les principaux piliers de cette Conférence de Yalta.
En fait, l’empire britannique, déjà en déliquescence, était sorti de la guerre si affaibli que les principales décisions relatives au nouveau partage des zones d’influence dans le monde étaient prises par Staline et Roosevelt.
Qualifiée par le politologue et historien français Raymond Aron de « péché originel », la Conférence de Yalta était en effet l’événement qui avait ouvert la voie à la division progressive du monde entre deux blocs idéologiquement antagonistes, l’Est et l’Ouest, dirigés par l’Union soviétique (bloc de l’Est) et les Etats-Unis (bloc de l’Ouest). Cette division qui s’est précisée peu de temps après la fin de la guerre, s’est poursuivie jusqu’à l’effondrement de l’Union soviétique en 1991.
Pendant que les négociations soviéto-américano-britanniques se poursuivaient à Yalta, les troupes soviétiques étaient à 65 kilomètres de Berlin et l’Allemagne était à quelques semaines de sa défaite totale et de sa reddition. Restait le front de l’extrême Orient où les troupes japonaises guerroyaient encore.
L’une des décisions de la Conférence de Yalta était que « les forces soviétiques s’engageront dans la guerre contre le Japon trois mois après la reddition de l’Allemagne. »
Celle-ci capitula le 8 mai 1945. Selon l’accord, les troupes soviétiques devaient donc se joindre à la guerre contre le Japon le 8 août. Deux jours avant cette date, le 6 août 1945, une bombe nucléaire fut lancée sur Hiroshima, suivie trois jours plus tard par une autre sur Nagasaki. De là à dire que la principale raison de l’usage de la bombe nucléaire était de barrer la route à la participation de Staline à la défaite du Japon et d’éviter à celui-ci une partition comparable à celle de l’Allemagne, il y a un pas que nombre d’historiens ont franchi.
A Yalta, Staline, dont le pays avait consenti de terribles sacrifices tout au long de la guerre, imposa sa vue d’une large zone tampon à sa frontière ouest composée de « pays amis ». Ce n’était pas par « désir expansionniste inhérent à l’idéologie communiste », comme ne cessait de le marteler la propagande occidentale tout au long de la Guerre froide, mais plutôt par « intériorisation des leçons de l’histoire. »
En effet, la Russie a énormément souffert des agressions et des invasions étrangères. De l’invasion des troupes napoléoniennes en 1812, à la guerre d’agression des forces armées hitlériennes en 1941 en passant par la tentative des forces britanniques de mettre la main sur la Crimée en 1854, la Russie a passé une bonne partie des deux derniers siècles à défendre son intégrité territoriale.
Rien que dans le dernier conflit mondial, la Russie a assumé la plus grosse part des sacrifices dans la défense du monde contre la peste nazie. Pas moins de 27 millions de Russes ont perdu la vie, dont un million dans le seul blocus de Léningrad (actuelle Pétersbourg) imposé durant plus d’un an par les forces hitlériennes. Quoi de plus normal dès lors que Staline tienne bon pour une zone tampon qui soit composée de pays amis?
La zone tampon imposée par Staline à Yalta a tenu bon de 1945 à 1991, année où l’Union soviétique s’effondra comme un château de cartes. Peu de temps avant, Gorbatchev consentit à la réunification de l’Allemagne à condition que les forces de l’OTAN ne franchissent pas les frontières allemandes. « Elles n’avanceront pas d’un iota », assura alors James Baker, le secrétaire d’Etat de Bush père. On connait la suite…
Les démangeaisons antirusses de l’Occident et son désir pathologique d’encercler la Russie, de l’affaiblir et de l’avaler n’ont pas tardé à réapparaitre. C’est Bill Clinton, le successeur de Bush père qui lança les premières provocations contre la Russie. Et ce n’est pas étonnant de la part de ce président qui a dit un jour : « L’Amérique tient ses engagements, à moins qu’elle ne veuille pas les tenir » ! Le monde a été édifié de la moralité de ce président avant même qu’il ne transforme le bureau ovale en garçonnière où il accueillait une stagiaire de 20 ans…
Avec du recul, on peut affirmer que « le péché originel » ne remonte pas au 4 février 1945, date de l’ouverture du sommet de Yalta, comme l’a affirmé Raymond Aron; mais au 12 mars 1999, date de l’adhésion à l’OTAN de la Pologne, de la Hongrie et de la République Tchèque, comme l’a voulu Bill Clinton qui qualifia alors sa décision comme étant « un bon investissement dans l’avenir ».
« Le bon investissement dans l’avenir » continua avec l’adhésion à la structure otanesque de tous les pays de l’Europe de l’Est. L’OTAN avala même les pays baltes qui faisaient partie de l’Union soviétique.
Le « bon investissement dans l’avenir » de Clinton, aboutit deux décennies plus tard sous Biden à la guerre d’Ukraine qui plongea le monde au bord de la guerre nucléaire. Dans quelques jours, cette guerre entrera dans sa troisième année et la Russie est sur le point de la conclure par une victoire éclatante sur le terrain.
Le sommet attendu entre Poutine et Trump ne pourra donc pas avoir pour objet l’arrêt de la guerre qui se conclut sur le terrain de bataille. Mais il portera plutôt sur les arrangements de sécurité que Poutine a tout fait pour obtenir pour éviter la guerre; tandis que Biden a tout fait pour refuser et précipiter la guerre.
80 ans après la Conférence de Yalta, il est peut-être temps de penser à une « Yalta 2 » qui réunirait Poutine et Trump. Où les deux plus grandes puissances nucléaires jetteraient les bases de nouveaux arrangements sécuritaires qui protègeront l’humanité contre le danger de l’autodestruction.