La mise en place de la Cour constitutionnelle qui tarde encore, l’interdiction du niqab… autant de sujets qui alimentent la Toile. Neila Charchour, militante de la société civile, dresse un état des lieux. Interview :
L’Economiste Maghrébin -Que pensez vous de l’interdiction du niqab dans les administrations publiques ?
Neila Charchour: Au début je suis tombée dans le piège de l’effet d’annonce surtout que j’ai lu ça sur certains médias avec toute la crédibilité qui l’entoure. Puis, je me suis demandée pourquoi l’interdiction était seulement dans les administrations, et là j’ai réalisé qu’il ne s’agissait que d’une circulaire qui a été remise à jour puisqu’elle existe depuis toujours. Un effet d’annonce électoral sans aucune sincérité puisque souvent même la loi n’est pas appliquée. Que dire alors d’une circulaire.
Le chemin est encore très long, mais ce n’est pas grave tant qu’à travers le patriotisme des uns, les critiques des autres et la liberté d’expression en général, le train démocratique reste accroché à ses rails malgré les grands huit.
-Quelle analyse peut-on faire du paysage politique? Certains évoquent déjà une tentative de putsch législatif, qu’ en pensez-vous?
A ce jour, nous sommes tout sauf démocrates. Il n’y a qu’à voir le manque de respect et même la haine entre les différents groupes politiques. Au fil du temps, nous découvrirons et nous corrigeons les failles de notre nouvelle Constitution rédigée par des non- démocrates. En fait, et démocratiquement parlant nous sommes encore en classe maternelle.
Par contre, l’esprit autocrate est encore bien ancré dans nos mémoires. Putsch et complot sont donc des réflexes naturels plus ou moins habillés de légalité. Le souvenir du coup d’Etat médical de Ben Ali est encore bien vivant dans les mémoires.
C’est tellement plus facile que de passer par des élections libres et transparentes pour des personnes avec un ego démesuré.
D’ailleurs, la volonté de barrer la route aux candidats en tête de sondage le démontre bien. Ça me rappelle les nombreuses élections risibles à candidat unique que certains trouvent normales. Or il est du droit des Tunisiens de choisir par eux-mêmes. Leur imposer un choix est, le moins qu’on puisse dire, du domaine de la tricherie.
-Sur un autre volet, la Cour constitutionnelle constitue l’une des innovations majeures de la Constitution. Quatre ans plus tard, pourquoi sa mise en place prend-elle autant de temps? Est-ce intentionnel?
Dire que c’est intentionnel serait un procès d’intention. Par contre, la faute revient au principe de l’élection par liste aux plus forts restes et bien entendu son impact qui a mené au principe du consensus.
Deux faits qui ont empêché une vraie pratique démocratique de s’installer. La démocratie veut que l’élu représente et défende ses électeurs et non pas son parti et ses intérêts électoraux. Par conséquent, le vote des députés n’est qu’une formalité de façade puisqu’il ne sert qu’à valider un accord consensuel entre les blocs ou les partis.
Le problème se pose lorsqu’il n’y a pas accord consensuel, comme c’est le cas pour élire les membres de la Cour constitutionnelle. Au lieu que ces derniers soient librement élus par des députés qui votent, en leur âme et conscience, des membres qui sont choisis en fonction de leur indépendance, de leur compétences et de leur intégrité, nous nous retrouvons en train de négocier et de marchander des voix en fonction d’intérêts claniques et partisans. Comme notre Constitution n’est pas ouvertement laïque, elle porte à la fois le caractère civil et le caractère religieux. Elle est donc sujette à interprétations multiples.
Il revient donc à une Cour Constitutionnelle de trancher en toute neutralité. Or il est très difficile d’arriver à un consensus entre Destouriens autocrates et théocrates. Ils ont des visions diamétralement opposées quant au modèle juridique et sociétal. Une Cour constitutionnelle consensuelle ou partisane serait catastrophique. A ce niveau, notre nouvelle Constitution a montré une de ses limites.
-Il semble que le blocage de la création de la Cour constitutionnelle soit dû aux députés eux-mêmes, qu’en pensez-vous?
Bien sûr, dans le sens que les députés n’ont pas été choisis pour leur compétence ou leur mérite mais uniquement pour leur appartenance. Ils votent donc en fonction de la volonté de leur parti. Ils ne sont que les marionnettes de leur marionnettiste. Ce qui explique clairement le tourisme parlementaire et la corruption morale ou financière de nombre d’entre eux. Une faille à corriger.
-La démission en série des maires se poursuit. Que faut-il comprendre, un an après les élections municipales?
C’est encore une fois le principe du consensus et des listes électorales qui montre ses limites. A l’image du Parlement, au lieu d’avoir un gagnant aux élections qui gouverne et une opposition qui par esprit de saine compétition et par des critiques constructives pousse aux meilleurs résultats possibles, nous avons des opposés tenus de travailler ensemble. Comme ils ne savent pas le faire, et contrairement au Parlement, ils ne peuvent faire de tourisme, ils démissionnent.
Notre démocratie se traduit pour le moment par différents partis autoritaires qui veulent gouverner ensemble. Déjà qu’au sein de chaque parti la démocratie n’est qu’une vitrine de façade, comment voulez-vous faire travailler ensemble des opposants dans les municipalités. Leurs disputes partisanes peuvent carrément impacter leur propre famille.
-Même si les élections municipales ont vu le jour , cela n’empêche que la démocratie participative des citoyens dans leurs communes est très faible. A quoi cela est-il dû?
Le citoyen n’est pas tenu d’être politisé. Il est juste tenu de reconnaître et de respecter ses droits et ses devoirs. Or cela nécessite un Etat de droit et de la transparence qui eux créent la confiance et font naître la motivation pour des actions civiles ou politiques.
A ce niveau nous en sommes si loin et la crédibilité de l’Etat est si faible que le citoyen se désintéresse de la chose publique. Il n’y croit pas et il a bien raison. S’il voit le député comme une marionnette comment voulez-vous qu’il croit au simple maire.
Tout cela se traduit par la prépondérance de l’opportunisme et du clientélisme voire du banditisme politique.