Dans cette interview accordée à l’Economiste Maghrébin, Mohamed Lassaâd Labidi, PDG du Centre de promotion des exportations (Cepex), dresse un bilan des exportations, durant les quatre premiers mois de l’année, et évoque la logistique et les mécanismes financiers mis en place pour aider les entreprises tunisiennes à s’implanter à l’étranger et à y créer des foyers d’importation.
Dans cet entretien, le PDG du Cepex aborde la corrélation entre le développement des exportations et l’investissement direct étranger et traite du rôle que peut jouer le centre au cas où l’Aleca serait conclu et de la coordination du centre avec la diplomatie économique.
Voudriez-vous nous dresser un bilan des cinq premiers mois de l’année en matière d’exportations ?
Lassaad Labidi.– Si vous parlez des échanges commerciaux, nous disposons seulement des résultats des quatre premiers mois de 2019.
Ces résultats font ressortir une évolution des exportations à prix courants de 16.5. A prix constants, c’est-à-dire en termes de volume, il y a une légère baisse des exportations. Cette baisse a touché les secteurs du textile-habillement et des industries mécaniques et électriques (ME).
Est–il besoin de rappeler ici que ces deux secteurs dépendent étroitement de la conjoncture internationale, notamment de la croissance dans les pays de l’Union européenne avec laquelle la Tunisie assure les ¾ de ses échanges extérieurs.
C’est pourquoi, lorsque la zone européenne connaît une récession, la Tunisie est automatiquement affectée. Les choses vont toutefois s’arranger, car nous savons qu’il y aura une reprise des exportations au cours de la prochaine étape.
N’oublions pas que l’année 2018 a été une année record en matière d’exportations des produits agricoles et agroalimentaires.
On a eu une campagne d’huile d’olive très intéressante et importante. En effet, nous avons exporté plus de 200 mille tonnes pour la campagne précédente avec des recettes de plus de 2 milliards de dinars. Nous avons également les exportations des dattes. Nous avons exporté, en 2018 (campagne 2017-2018), plus de 130 mille tonnes avec des recettes de 770 MDT. Aussi, les exportations des secteurs Textile Habillement Cuir et Chaussures ont enregistré une croissance importante les deux dernières années.
Nous nous attendons à une reprise dans d’autres secteurs, particulièrement pour certains secteurs tels que l’énergie, le phosphate et dérivés.
Quelle est votre stratégie en matière d’exportation en votre qualité de structure en charge justement du dossier ?
En notre qualité de Cepex, notre rôle est de promouvoir les exportations tunisiennes au niveau national et international.
Au plan de la logistique, l’année dernière nous avons ouvert quatre nouvelles représentations commerciales en Afrique subsaharienne, plus exactement en République démocratique du Congo (RDC), Cameroun (Afrique centrale), Kenya (Afrique de l’Est), Nigeria, Côte d’Ivoire (Afrique de l’Ouest).
Aujourd’hui, nous avons au total 13 représentations commerciales à l’étranger dont 5 en Afrique subsaharienne si on ajoute celle en Côte d’Ivoire. En Europe nous avons deux représentations, une à Milan en Italie et une autre à Rotterdam (Pays-Bas),
Au Maghreb nous en avons trois, deux à Alger et Oran(Algérie) et une à Casablanca (Maroc). Au Moyen-Orient nous avons une représentation à Dubaï et une autre à Amman. La 13ème est implantée à Moscou (Russie).
Et en Chine, vous n’avez pas pensé à vous y implanter ?
Pas encore. Il y a des préalables objectifs à réunir pour l’implantation d’une représentation Cepex à l’étranger. Pour le cas de la Chine avec laquelle la balance commerciale est déficitaire au détriment de la Tunisie, nous nous employons, pour le moment, à participer à des salons. A titre indicatif, nous allons participer, en du 27 au 29 juin prochain, à une foire sino-africaine à HUNAN, ainsi qu’à l’Exposition internationale d’importation de la Chine (CIIE) -qui attire plus de 150000 professionnels de 100 pays et régions-, prévue à Shanghai au mois de novembre.
Aujourd’hui, nous sommes convaincus que le développement des exportations vers tel ou tel pays, vers telle ou telle zone, passe par l’importance du volume des investissements directs étrangers dans les pays exportateurs.
Ainsi, si les ¾ de nos exportations vont vers l’UE, cela est dû, entre autres, au fait que les Européens ont investi, massivement, en Tunisie. Il y a une corrélation entre les exportations vers l’UE et les exportations de l’offshore implanté en Tunisie. En 2018, l’offshore en Tunisie a exporté trois fois plus que le régime onshore.
Personnellement, par conviction, je ne distingue pas entre l’exportation onshore et celle offshore. Mon rôle est de promouvoir les exportations à partir de la Tunisie, d’autant plus que, d’ici 2021, il va y avoir convergence entre l’offshore et l’onshore.
L’ultime objectif, à travers les exportations, étant de promouvoir l’image de la Tunisie et d’attirer le maximum d’investissements directs étrangers.
En tant que Cepex, nous sommes une composante de tout un système qui travaille à cette fin. Notre rôle est de contribuer à mettre en place un environnement propice à l’offshore et aux entreprises qui acceptent de s’installer en Tunisie.
L’export est aussi, d’une certaine manière, lié à la capacité des entreprises d’un pays de se délocaliser à l’étranger, d’investir à l’international et d’y créer des foyers d’importation ?
Vous avez raison de dire cela. Nous avons, dans cette perspective, un programme de développement des exportations (PDE 3) financé par la Banque mondiale. Dans ce programme, réalisé sur 5 ans, il y a une composante « Tasdir +» avec un budget de 50
MDT. Ce fonds a pour mission d’appuyer les entreprises tunisiennes à l’internationalisation et à l’implantation à l’étranger.
Chaque entreprise, qui a un potentiel à l’exportation et qui nous présente un business plan pour une implantation à l’étranger, peut en bénéficier. Notre rôle est d’assumer une part de risque et de l’accompagner à hauteur de 50%.
Nous sommes en train de réviser à la hausse cette contribution avec la Banque mondiale. L’objectif est de voir comment on peut appuyer un peu plus les entreprises qui s’internationalisent. Lors d’une réunion tenue fin mai 2019 avec des représentants de la Banque mondiale, on a demandé à ce que l’appui apporté jusque-là à l’implantation à l’étranger soit plus important et plus conséquent.
Concrètement, nous avons demandé de porter le seuil, fixé actuellement à 300 mille dinars réparti également entre l’entreprise (150 mille dinars) et TASDIR + (150 mille dinars), soit augmenté au taux de 60%. C’est important pour la croissance économique.
Car, si notre pays parvient à réaliser un taux de croissance de 4%, la contribution de l’exportation sera très importante. A l’horizon 2025, s’il n’y a pas une forte dépréciation du dinar, nous devrions pouvoir exporter à hauteur de 90 Milliards de dinars.
A propos de cette dépréciation, même si elle aide quelque part à booster les exportations, elle a toutefois des limites en ce sens qu’à titre d’exemple elle génère moins de recettes. Qu’en pensez-vous ?
Aujourd’hui, il y a une tendance à la stabilisation. Il y a une volonté pour que le dinar ne se déprécie pas davantage. Résultat : le dinar s’est stabilisé ces derniers mois.
En tant que Cepex notre responsabilité est engagée en la matière. On doit y contribuer.
Pour revenir à la stratégie du Cepex dans le domaine de la promotion des exportations, je voudrais rappeler deux importantes réalisations : la première concerne la coopération allemande dans le cadre du projet PEMA. Le Cepex et l’Agence Allemande de la Coopération Internationale (GIZ) vont aider 37 entreprises opérant dans l’agroalimentaire (Taste Tunisia), la santé (Tunisia Health Alliance), le bâtiment et la construction (Tunisia Building Partners) à s’implanter dans cinq pays de l’Afrique subsaharienne et à y écouler leurs produits.
Les cinq marchés ciblés sont la Côte d’Ivoire, la République démocratique du Congo (RDC), le Cameroun, le Kenya et le Nigeria. Au Cepex, nous travaillons sur les moyens d’appuyer ces clusters à travers « Tasdir + ». La 2ème réalisation porte sur l’augmentation du budget du Fonds de promotion des exportations (Foprodex).
Lors de la réunion du Conseil supérieur de l’exportation (CSE), le 4 janvier 2018, le Chef du gouvernement avait décidé d’augmenter le budget du Foprodex, de 20 MDT à 40MDT pour 2018, à 80MDT pour 2019 et à 100MDT pour 2020.
C’est une bonne chose qui nous a permis de régulariser les anciens dossiers avec une ardoise datant de 2016 et avoisinant les 20 MDT.
Au rayon des réformes, nous projetons la refonte du Foprodex. Nous avons lancé à cette fin un appel d’offres. L’idée est de réfléchir sur ce que nous allons faire de ce fonds à l’avenir, et ce, sur la base de l’expertise développée en la matière ainsi que celle du FAMEX 1, FAMEX 2 et TASDIR +.
L’enseignement supérieur en Tunisie est toujours cité comme un secteur à fort potentiel d’exportation. Avez-vous une stratégie en la matière ?
L’enseignement est important bien sûr. En juillet prochain, nous avons une mission pour l’enseignement supérieur. Nous sommes en train de travailler, dans les limites de notre domaine et en étroite collaboration avec TABC, les autres doivent travailler dans le leur, s’agissant particulièrement du transport.
Y a-t-il une coordination entre le Cepex et le département de la diplomatie économique au ministère des Affaires étrangères ?
Nous n’avons pas de représentants du Cepex dans chaque ambassade mais en ce qui concerne le Foprodex, une partie de son budget est gérée avec les ambassades.
A titre indicatif, quand nous organisons des manifestations dans des pays ciblés, nous les organisons en étroite collaboration avec les ambassades.
Le moment est toutefois venu pour fédérer les énergies et agir sur les coûts afin d’associer tous les départements concernés à la promotion de la Tunisie à l’étranger. C’est d’ailleurs une ancienne idée.
En 2008, il y a eu un Conseil interministériel (CIM) sur le redéploiement des représentations à l’étranger : représentations commerciales, touristiques (ONTT), Fipa (IDE)… Cette idée n’a pas abouti. Le moment est venu pour la reprendre. A notre niveau, nous sommes en train d’y réfléchir. C’est à travers cette coopération que nous pouvons réduire les coûts. Il faut trouver une formule qui permette aux représentants du Cepex, de l’ONTT et de la Fipa de se regrouper.
L’essentiel est que chaque structure d’appui commence par se préparer à son niveau. Personnellement, je vais commencer par le faire et coordonner avec les autres responsables des structures concernées.
En tant que Cepex votre rôle ne se limite pas à aider les entreprises à exporter, vous avez également un rôle de vigie et de veille et de prospective pout tout ce qui se prépare, pour les années à venir, en matière de transformations, d’innovations, de nouvelles technologies, de reherche et développement, est-ce que vous êtes en train de vous préparer à ces grandes mutations ?
Nous sommes conscients de toutes ces mutations. C’est dans cet esprit que nous travaillons sur un projet de restructuration du Cepex et sur son acceptabilité par les décideurs.
Le Cepex peut-il jouer le rôle d’agitateur d’idées et de force de propositions en organisant épisodiquement des conférences de grande envergure ?
Je suis tout à fait d’accord avec vous. J’ai beaucoup parlé de cela avec les cadres du
Cepex. A titre indicatif, notre adhésion au groupement Comesa mérite d’être portée au maximum à la connaissance de nos entreprises. A cette fin, nous comptons organiser, dans les semaines qui viennent, une journée animée par un expert du Comesa pour informer les entreprises des avantages à tirer de ce groupement régional.
En principe, le Cepex devrait avoir une politique à deux étages. D’un côté, il doit entretenir des relations privilégiées avec les Champions nationaux et de l’autre, venir en aide aux PME à fort potentiel d’exportation. Quelle est votre stratégie en la matière ?
Votre idée serait de préserver les champions en quelque sorte. D’autres parties ont un point de vue différent. Je viens d’assister à la troisième édition de « Miqyes », baromètre sur la santé de la PME en Tunisie. Au cours de cette manifestation, j’ai entendu des universitaires dire que le Cepex ne soutient que les grands et rarement les PME, ce qui est inexact puisque les PME font aussi l’objet d’une attention et de soins particuliers.
Comment voyez-vous l’avenir immédiat de l’économie tunisienne ?
En ce qui concerne l’économie du pays, je pense personnellement qu’il va y avoir des améliorations, à partir du deuxième trimestre et jusqu’à la fin de l’année.
Pour l’export, les perspectives sont bonnes. Il y aura une reprise. Car on voit que le secteur offshore est en train d’exporter et d’importer. Cette tendance laisse entendre que des investissements (nouveaux ou des extensions) sont mobilisés pour booster leurs exportations.
A propos de l’Aleca, il y a des craintes, des appréhensions.., mais en tant que Cepex, votre mission est importante pour mettre à niveau les secteurs visés par l’Accord, en l’occurrence l’agriculture et les services. Est-ce que vous avez une stratégie dans ce sens ?
Concernant l’agriculture, tout comme pour les services d’ailleurs, notre intervention se fera à travers les mécanismes du Foprodex et de « Tasdir + ». Elle consistera à aider les entreprises agricoles et de pêche et les prestataires de services à exporter des produits et services compétitifs sur l’UE.
Ce que nous remarquons toutefois, c’est qu’avec « Tasdir + » nous n’avons pas pu enregistrer des entreprises agricoles intéressées malgré la réduction au maximum des critères de leur éligibilité à ce Fonds.
Quel est votre dernier message ?
J’ai un double souhait : intensifier le contact direct avec les entreprises et être à leur écoute sur les sites de production, d’une part, et accélérer le projet de restructuration du Cepex, un projet auquel je suis particulièrement attaché, d’autre part.
Propos recueillis par Hédi Mechri & Khemaies Krimi