L’« homme de pouvoir désintéressé », forgé durant la période de la lutte pour l’indépendance, a disparu, ce n’est plus qu’une chimère. Depuis quelques décennies, nous assistons à l’émergence d’une espèce hybride, sujet d’étude de la tératologie plutôt que des sciences politiques. Faut-il ajouter “à quelques exceptions près”, pour ne pas se départir d’un optimisme béat ! Un processus de modification s’est opéré, sécrétant un avatar de politicien caractérisé par le cynisme, l’atrophie du sens patriotique, la vénalité et l’effronterie.
Parallèlement, deux fléaux se sont combinés et ne cessent de compromettre l’avènement d’un système politique relativement sain et viable en Tunisie, à savoir l’intrusion dans la sphère politique de l’argent et de la religion.
Une instrumentalisation infernale du phénomène religieux s’est accomplie, infectant le système immunitaire du corps social, agrégée à l’irruption de l’argent dans les caisses de certains partis et associations, dont la provenance est souvent obscure. Il faut une bonne dose de « mauvaise foi » pour commettre tous les larcins et les forfaits au nom d’une religion présumée, apporter l’apaisement, la concorde et la rectitude. La mise à sac du pays au profit d’une caste sans foi ni loi se déroule sous nos yeux et se banalise.
Des liaisons dangereuses entre pouvoir politique et pouvoir de l’argent (licite ou illicite) se sont donc tissées et se sont confondues. Ceux qui tiennent les rênes des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire semblent s’en accommoder, quelques uns en tirent bénéfices. Sinon, pourquoi ce phénomène se développe et perdure ?
Les appels alternatifs, qui s’escriment depuis 2011 à démontrer et à dénoncer les errements, années après années, n’ont aucune voix au chapitre face au rouleau compresseur de la corruption et du nivellement par le bas. Il ne semble pas que l’on mesure bien quels dégâts induit cette forme dévaluée de la gouvernance exercée par des délinquants de la politique. On met à mal les services publics, on fragilise les structures de la santé, on réduit l’éducation à n’être qu’une garderie etc…
La société tunisienne est aujourd’hui pervertie, c’est une société en perdition où l’on observe l’argent public détourné pour de petits intérêts sordides, égoïstes et mesquins. Comment un homme ordinaire qui a été élu ou désigné pour veiller au bien être des citoyens de son pays, peut-il s’engager à signer un accord complètement défavorable à son peuple ? Comment peut-on être un premier responsable non pas au service de son pays, mais pour préserver les intérêts d’une tierce puissance dans le pays qu’on dirige ? Comment accepter l’argent de l’étranger pour asseoir son pouvoir ?
Sans céder à la tentation de juger les événements et les personnages du passé à l’aune des péripéties présentes, il y aurait quand même des similitudes entre certains épisodes politiques et économiques au cours de l’Histoire universelle et le contexte actuel de notre société. L’Histoire se répète autant de fois que possible lorsqu’on ne tire pas les leçons qu’il faut du passé.
Honoré de Balzac avait brossé dans sa Comédie humaine les jeux politiques de la nouvelle monarchie dite de Juillet, établie entre deux révolutions, celles de 1830 et de 1848. Il avait dessiné sans complaisance une société déréglée et des personnages sans scrupule, voraces, corrompus qui voulaient à tout prix et par tous les moyens s’emparer du pouvoir politique et s’y maintenir. Il disait : « Tous ces prétendus hommes politiques sont les pions, les cavaliers, les tours ou les fous d’une partie d’échecs qui se jouera tant qu’un hasard ne renversera pas le damier ». Même s’il confond entre damier et échiquier, il exprime curieusement ce que nous constatons. Le prototype du politicien avide d’argent et de pouvoir était en ces temps Adolphe Thiers qui devint président de la Troisième République et dont de Chateaubriand (Mémoires d’outre-tombe) disait « il se détache sur le fond terne et obscur des médiocrités du temps ».
Hélas ! Nous continuons à tourner en boucle comme des hamsters dans leur roue, à subir chaque jour le spectacle affligeant d’une nouvelle nuisance, à souffrir une marche infernale vers une dégradation de notre environnement et de notre mode de vie tout en ronchonnant, en se lamentant sur notre sort, mais vainement, impuissamment.
Le renoncement d’un peuple à ses droits, l’occultation de ses devoirs, l’acceptation de se voir insulter en son intelligence et d’être traité en mineur, est une véritable trahison de la dignité. Énormément d’épreuves nous attendent pour les prochaines années. Faut-il courber l’échine, baisser les yeux et endurer en silence ?
Instruits de tous les errements de huit longues années (2011-2019), il est vital d’agir pour déjouer les plans des nouveaux « collabos », au sens infamant du terme. En effet, ce sont des « collabos ». Sans faire d’amalgame hasardeux entre deux époques, il s’agit de ceux qui collaborent avec des puissances étrangères, à l’instar de ceux qui collaboraient avec l’occupant durant la Deuxième guerre mondiale (1940-1944).
Des « collabos » nouveau style qui prospèrent sur le fumier d’une classe politique avide de profits et de prébendes, sans se préoccuper de la souveraineté et de l’indépendance de ce pays. Leur cupidité et leur stupidité ne cessent de démolir nos repères patriotiques.
Finalement, ces personnages ne sont que les intendants mandatés par une oligarchie coloniale « new look ». Ils s’appuient sur de puissants réseaux, nationaux et internationaux, soutenus et couvés par des puissances étrangères, ils servent à perpétrer les stratégies géopolitiques colonialistes occidentales. Ils négocient en catimini, commettent des concessions aberrantes alors qu’ils sont censés défendre les intérêts de leur pays, ferment les yeux sur des crimes économiques qui appauvrissent notre peuple et nous condamnent à déchoir dans le troisième monde. Pour eux, le principe de l’égalité souveraine des Etats, le principe de non-ingérence, sont des formules creuses, d’un autre temps.
Ils plient sous les pressions exercées par un Etat étranger, ou un groupe d’Etats, pour imposer sa volonté et exercer une influence de nature contraignante dans les affaires intérieures ou exiger d’eux l’exécution ou l’inexécution d’actes. Ils présument que la félonie est le passage obligé pour réussir leur ascension aux plus hautes fonctions de l’Etat. Certains de leurs séides croient qu’en s’alliant aux usurpateurs du moment ils font une bonne affaire.
Pendant ce temps, on continue de creuser nos méninges pour trouver une réponse à cette interrogation : si ce n’est pas nous, citoyens lambda, qui agirons aujourd’hui sans plus attendre pour favoriser l’assainissement de l’Etat, pour débusquer les « collabos » qui négocient sournoisement en concédant chaque fois un pan de notre souveraineté, pour les éjecter des postes de responsabilité, qui le fera ? Si ce n’est pas maintenant, quand ? En estimant que ce n’est pas déjà trop tard pour opérer drastiquement et efficacement un véritable tournant salvateur.
Beaucoup d’entre nous demeurent sincèrement convaincus de pouvoir, par leur action citoyenne, infléchir la tendance régressive. Nous disposons d’une opportunité à travers les prochaines élections. A condition qu’elles se tiennent dans les délais, qu’elles ne soient pas biaisées par le recours à toute une variété de stratagèmes pour fausser le suffrage, ou altérées par l’argent sale et les ingérences étrangères. Elles seraient l’occasion ultime pour inverser le cours des choses, s’atteler à reconstruire et à restaurer la confiance.
Il est impératif de traduire notre rejet total par un vote-sanction franc et massif qui écarterait toutes les formations avec leurs auxiliaires, celles qui ont contribué à ce déclin généralisé. Vous me direz : quelle alternative avons-nous ? Il s’agit de refuser de continuer à se faire “gruger” par des dévoyés qui se croient plus malins que les autres.
Pour les élections législatives, votez pour un (ou une) candidat(e) que vous connaissez dans votre circonscription, qui vous inspire le plus confiance et dont le parcours n’est pas entaché de compromissions.
Pour les élections présidentielles, opter pour la personnalité dont le parcours est convenable et surtout qu’elle soit intraitable quant à la préservation de l’indépendance et de la souveraineté de la Tunisie.