Mohammed Abu Khdeir, un adolescent palestinien de 16 ans a été enlevé (alors qu’il se rendait à la mosquée avant le début du jeûne de ramadan) avant d’être brûlé vif. Un assassinat commis en représailles à l’enlèvement (près de la colonie de Goush Etzion, dans le sud de la Cisjordanie) et au meurtre de trois jeunes Israéliens. Certes, la police israélienne a déjà arrêté les suspects des deux crimes. Reste que la logique de « vendetta » a primé. Ainsi, après le meurtre des adolescents israéliens, les appels racistes à la vengeance et au meurtre ont donné lieu à une « chasse aux Arabes » dans les rues de Jérusalem, et ce, dans une totale indifférence de la communauté internationale. Or “le droit qui prend la forme de la vengeance constitue à son tour une nouvelle offense, n’est senti que comme conduite individuelle et provoque, inexpiablement, à l’infini, de nouvelles vengeances“, écrivait Hegel.
Depuis le drame, le climat s’est particulièrement dégradé. Tariq Abu Khdeir, 15 ans, le cousin américain de Mohammed, a été violemment passé à tabac par la police israélienne. Vendredi dernier, des milliers de Palestiniens avaient assisté à ses funérailles, en appelant à une nouvelle « Intifada» contre Israël. Intifada ? Retour sur les épisodes précédents. Acte I : en décembre 1987, la première Intifada éclate dans la bande de Gaza, avant de s’étendre à la Cisjordanie. Les images de cette confrontation asymétrique entre une jeunesse palestinienne armée de pierres et les soldats d’une armée d’occupation ont un impact très fort. La première puissance militaire de la région a perdu la guerre de l’image et de la symbolique politique : la figure de la victime est palestinienne. Acte II : l’échec de « Camp David II » annonce celui des accords d’Oslo eux-mêmes, quand Ariel Sharon, alors chef du Likoud, visite l’Esplanade des Mosquées (Jérusalem-Est), troisième lieu saint de l’Islam, provoquant de violentes émeutes en Israël et dans les territoires palestiniens. C’est le début de la seconde Intifada (2000-2005) qui marque à la fois l’échec du « Processus de paix » et la fracture interpalestinienne entre les islamistes du Hamas et le Fatah tenu pour responsable de l’incapacité de l’Autorité palestinienne à endiguer la colonisation par la négociation.
Alors que l’armée israélienne a lancé une opération militaire meurtrière en Cisjordanie et des raids aériens sur la bande de Gaza, des jeunes Palestiniens affrontent l’armée et la police israéliennes à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Les troubles se sont étendus dans une région appelée le “Triangle” arabe, notamment à Taybeh, Tira et Qalansawe. Des affrontements sporadiques ont touché Nazareth, haut lieu chrétien et principale ville arabe d’Israël, Arara et la région d’Oum al-Fahm. L’enlèvement des trois jeunes Israéliens a été perçu comme une aubaine par le gouvernement israélien pour mener une opération de punition collective et s’attaquer en particulier au Hamas accusé d’être à l’origine de leur assassinat.
Selon le ministère palestinien des Affaires étrangères, plus de 640 personnes, dont 11 députés, ont été arrêtées en Cisjordanie occupée depuis le début des opérations de ratissage israéliennes. La Cisjordanie vit au rythme soutenu des incursions militaires dans les camps de réfugiés. Le gouvernement Netanyahu a mis en garde le Hamas contre toute escalade et a déployé un dispositif militaire d’envergure près de Gaza. Cette propagation des violences annonce-t-elle une nouvelle Intifada ? Une telle perspective est improbable. D’abord, les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne font écran entre les jeunes Palestiniens et l’armée israélienne, afin d’éviter des accrochages. Ensuite, aucune force politique n’appelle à un tel soulèvement et les Palestiniens demeurent politiquement divisés malgré l’accord de réconciliation.
Les divergences de vue entre l’Autorité palestinienne et le Hamas après l’enlèvement des trois jeunes Israéliens, notamment du fait de la coopération des forces de sécurité palestiniennes avec Israël, fournissent l’occasion à Benyamin Nétanyahu de faire pression sur le président Abbas pour qu’il rompe cet accord. Enfin, les perspectives politiques font défaut. Ce dernier argument peut toutefois être inversé : l’absence de perspectives politiques peut nourrir au contraire l’hypothèse d’une nouvelle Intifada, dans un acte de désespoir collectif face une vague de répression israélienne et la multiplication des attaques des colons.
Les avocats inconditionnels de l’Etat d’Israël – quels que soient son gouvernement, sa politique, ses actes – aiment à répondre par un autre type de slogan : Israël est l’unique démocratie de la région. A quoi on pourrait rétorquer que cette exceptionnalité israélienne est symbolisée aussi par le fait qu’il s’agit de la seule puissance coloniale de la région. Or quelles que soient les raisons (stratégiques, sécuritaires ou religieuses) de la politique de colonisation, celle-ci est contraire à la légalité internationale et aux valeurs démocratiques. Autrement dit, on ne peut nier la contradiction ontologique entre d’un côté les valeurs de la démocratie et de l’Etat de droit, et de l’autre, le développement continu de l’occupation, de la colonisation et d’une forme d’apartheid.
Ce nouveau cycle de violences ne saurait masquer ses racines profondes. La politique israélienne de colonisation entretient un profond sentiment d’humiliation chez les Palestiniens. Si elle empêche in fine la création d’un État palestinien viable, elle a mis la société israélienne dans un état de délabrement moral qui l’amène jusqu’à nier l’existence de l’Autre, si ce n’est comme un objet de haine. C’est pourquoi, il serait temps qu’elle procède à une profonde introspection et médite cet aphorisme de Karl Marx : « Un peuple qui en opprime un autre forge ses propres chaînes ».