Interviewé par L’Economiste Maghrébin (n°719 du 6 au 20 septembre 2017), Abdelkader Boudriga, enseignant universitaire (IHEC) , spécialiste des questions financières et bancaires et président du Cercle des financiers tunisiens estime que nous sommes en situation de crise, certains agrégats macro-économiques, dit-il, reflètent un état de malaise, en particulier ceux relatifs à la finance publique. Voici en substance l’essentiel de son analyse de la situation économique.
L’Economiste Maghrébin : Comment imaginez-vous l’issue pour la crise des finances publiques et, par la même, l’amélioration des équilibres économiques ?
Abdelkader Boudriga : La bonne nouvelle, c’est que nous connaissons le problème majeur qui pèse sur les finances publiques, qui est la faiblesse des recettes fiscales, due en particulier à une base de contribuables limitée aux salariés et aux entreprises organisées. Il est impératif d’œuvrer pour intégrer et fiscaliser les contribuables potentiels (secteur informel) dans les plus brefs délais et de rendre plus équitable la collecte d’impôts. Ceci aura pour conséquence directe d’améliorer les ressources propres de l’Etat et de contribuer à restaurer la confiance. Bien évidemment, il va sans dire que l’on doit continuer dans la voie des grosses réformes macro-économiques : fiscalité, caisses sociales, système de compensation et de subvention, système bancaire et financier.
Il est également impératif de s’attarder en particulier sur les évolutions récentes des importations, dont la structure connait des modifications profondes, que ce soit au niveau de la provenance (Turquie et Chine), qu’au niveau de la composition (augmentation non justifiée des importations des produits alimentaires profitant de la CGC). Ce qui laisse à penser que le dérapage des importations a servi en grande partie à la contrebande ou que ces importations ont été réacheminées vers des pays voisins.
Qu’est-ce qui empêche cette démarche et gêne un tant soit peu la tentative d’intégration du secteur informel ?
De nombreuses raisons. L’inefficacité de l’action publique, l’instabilité politique, le manque de civisme et de motivation, le faible engagement des entreprises envers la société et les communautés, l’excès de populisme et les transformations socioculturelles. Toutefois, je pense que nous vivons une période de crise de confiance généralisée qui s’est installée de manière durable et qui empêche l’action collective concertée, nécessaire pour réussir une période de transition dans un contexte géopolitique difficile. Le citoyen n’a plus confiance dans les politiques, les chefs d’entreprises sont pointés du doigt et diabolisés, le capital humain n’est plus considéré comme stratégique, les employés ne sont plus motivés et manquent d’engagement, la prise d’initiative manque à nos jeunes qui ne s’intéressent pas à la vie politique et boudent les débats publics, les médias sont affamés par la recherche du buzz et les sujets qui rapportent de l’audimat, au détriment des sujets qui comptent vraiment.
Restaurer la confiance représente la seule porte de sortie pour des solutions durables, concertées et partagées. Ceci passe également par un discours franc mais équilibré, sans excès d’optimisme, mais surtout non défaitiste.