Quelles sont les réformes qui ont été faites en Tunisie jusqu’à présent? C’est en ces termes que s’interroge l’économiste et président de l’Association tunisienne de la gouvernance, Moez Joudi.
“Jusqu’à maintenant nous n’avons rien vu venir”, dit-il et de rappeler que le projet de loi relatif au code d’investissement a été proposé puis retiré. “Je suis scandalisé par le projet de loi relatif au partenariat public-privé“; et de continuer : “Pour le moment, nous n’avons pas eu d’idée claire sur l’issue du projet de loi”, s’indigne-t-il.
Tout en indiquant que le PPP n’est pas un concept récent, étant donné qu’il a été appliqué en Allemagne et en France, Moez Joudi a affirmé que c’est une solution parmi d’autres qui peut contribuer à relancer l’investissement public et la croissance.
“Dans ce pays on est arrivé à un stade où toute réforme est rejetée. Il y a tellement de tractations et de conflits d’intérêts qu’on n’arrive pas à avancer, surtout que l’exécutif n’a pas montré sa détermination à imposer ses orientations et ses choix économiques », s’insurge-t-il.
Par ailleurs, le spécialiste s’est inquiété face à l’absence de toute réaction du gouvernement suite au dernier communiqué de la Banque centrale de Tunisie. “Face à cette sclérose, à cette inertie, ce qui m’inquiète le plus aujourd’hui, c’est qu’on est incapable de procéder aux véritables réformes à l’instar de la réforme fiscale“. Il a rappelé que le gouvernement de Mehdi Jomâa avait entamé une ébauche de réforme fiscale dans le cadre de la loi de finances complémentaire 2014.
Interpellé au sujet de l’endettement, Moez Joudi a estimé que, fin 2010, l’endettement de la Tunisie avait atteint 40% du PIB. Aujourd’hui, il atteint 54%. “On dit que la dette est encore soutenable, ce n’est pas aussi vrai que cela”, précise-t-il. “Si on ajoute le déficit des entreprises publiques et des caisses sociales on arrivera à 80% ou 87% du PIB”, assène-t-il.
Commentant l’utilisation de l’argent de l’endettement, Moez Joudi a indiqué que les sommes de l’endettement entre 2011 et 2015 n’ont pas servi à l’investissement et ni au développement régional, elles ont été orientées vers les dépenses publiques, notamment les salaires. “L’utilisation de l’endettement n’était pas pertinente”, conclut-il.
Répondant à une question qui porte sur le projet de loi de réconciliation économique, l’économiste a indiqué que le principe ne date pas d’hier et qu’il ne s’agit pas d’une invention tunisienne surtout qu’en Afrique du Sud et au Maroc, l’expérience a déjà été tentée.
Et de rappeler que le président de la commission de confiscation a déjà proposé un projet de loi similaire au chef du gouvernement Hamadi Jebali qui n’en a pas tenu compte. De même pour l’initiative de Kaïs Saïd, “ce refus est une réaction politique politicienne”, commente-t-il.
Cependant, Moez Joudi reconnait la nécessité de faire quelques amendement au projet de loi : “Dans ce projet de loi, il y a des zones d’ombre, il y a de la précipitation, comme par exemple la composition de la commission chargée de la réconciliation qui devrait être rectifiée”, précise-t-il.
“La réconciliation en elle-même est un objectif noble, car il faut reconnaître que pendant les quatre dernières années, il y a eu un chantage effectué sur les hommes d’affaires interdits de voyage”, rappelle-t-il. Et d’affirmer que son association dispose de témoignages d’hommes d’affaires indiquant qu’ils ont été contactés par des partis politiques qui leur réclamaient de l’argent. “Ceux qui s’insurgent contre le projet de loi de réconciliation économique pourquoi ne le font-ils pas contre les dossiers des entreprises confisquées ? Pourquoi ne s’insurgent-ils pas contre l’économie parallèle ?”
Dans le même cadre, il a indiqué que parmi les mesures importantes dans le projet de loi de réconciliation économique, il est question d’accélérer les procédures, ce qui n’existe pas dans les procédures de l’IVD d’après le spécialiste. “Le pays ne peut pas rester en suspens quatre ou cinq ans jusqu’à la fin des procédures et jusqu’à la fin des tractations politiques, n’est-ce pas ?”, fait-il remarquer.
Par ailleurs, il a précisé que “les fonctionnaires qui ont été obligés de tremper dans des affaires de corruption et qui n’ont rien touché de l’argent public, ceux-là refusent à présent de travailler et de signer quoi que ce soit”, affirme-t-il. “L’UTICA ne s’est pas encore prononcée sur ce projet de loi, ce qui est bizarre, Nidaa Tounes ne soutient pas le projet et l’UGTT le rejette”, dit-il.
En ce qui concerne les retombées positives que pourrait engendrer le projet de loi, l’économiste a estimé qu’elles sont difficiles à évaluer pour le moment.
Que faire pour sortir de la crise ?
L’économiste avance une approche en cinq points :
1) l’Etat doit redonner la confiance aux citoyens et aux investisseurs et assumer son rôle de leadership
2) Un meilleur contrôle des dépenses publiques pour enrayer le déficit
3) Engager les réformes bancaires, fiscales, caisses sociales, PPP…
4) prôner la transparence et la bonne gouvernance
5) entamer une politique d’investissement